[ Philippe Langueneur, France

" ... j'ai fait du roman, mais tout est vrai. "

Mercenaire du numérique
Playlist du moment : György Ligeti et "Led Zep".

Auteur pour le BSJV.

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Q-01 Souvenir :
Quel est votre souvenir le plus ancien de lecture d’un roman de Jules Verne ? Vous souvenez-vous comment ce livre était arrivé entre vos mains ?

Au cours des années collège. La mode était aux "Stan Smith", mes oncles me fournissaient en pop, en électro allemande, en Science-fiction, ma mère en Camille Flammarion, mon père en cannes à pêche. Ce n'était pas vraiment le même jour, mais j'écoutais en boucle l'hypnotique Rubycon et lisais Ringworld, lorsqu'un éducateur - il est toujours vivant nous l'appellerons O - me soumit Deux ans de Vacances. "C'est le père de la Science-fiction", insistait-il. Un instant, imitons Verne avec les malades et les médecins : ici, il n'y avait pas de cancre, parce qu'il n'y avait pas d'éducateur... J'ai lu deux ou trois chapitres, c'est tout. À la décharge d’O, dans cette affaire, je pense qu'à l'époque je n'aurais fini aucun Jules Verne. À part peut-être Servadac ou Le Chateau. Aussi, j'associai le Jules Verne commun aux deux films que j'avais vus. On pouvait assister au 2001 de Stanley Kubrick à Paris, au Broadway, sur un écran géant, pour le prix d'un pain au chocolat. Le soir à la télé, les lézards maquillés avec du carton n'impressionnaient que les hamsters.
Je n'ai toujours pas lu Deux ans de vacances, je constate qu'il n'est même pas dans ma bibliothèque⁽¹⁾.

⁽¹⁾ Vous pouvez envoyer vos dons à la Société Jules Verne, qui transmettra.

Q-02 Nostalgie :
Quel roman de Jules Verne vous a fait la plus forte impression ? Quel âge aviez-vous lors de sa lecture ?

Passé Deux ans, j'atteignais l'âge du capitaine dans sous les Mers, à peu près. Chez un célèbre jeune libraire de la rive gauche parisienne, il y avait deux études verniennes, j'ai été séduit par le design et le format du Daniel Compère, le Marie-Hélène Huet, même format, était orange⁽¹⁾. J'ai survolé des paragraphes, étonné, intrigué ; Jules Verne ce n'était pas du Walt Disney ? Les deux étaient à prix canon. Dans le métro, le sac jaune entre les genoux, j'ai commencé la lecture. Capté, je descendis néanmoins à la bonne station. Alors, j'ai commencé à lire Jules Verne et les études qui lui étaient consacrées. De cette première époque, débarrassé pour un temps de la figure de père de la Science-fiction, je retiens Les Histoires de Jean-Marie Cabidoulin, on y découpe la langue de baleine à la hache et c'est pour moi le voyage le plus comique des Extraordinaires. Et puis franchement, passer de Serpent de Mer - comme titre de travail - à Cabidoulin, "Hats off"!

⁽¹⁾ Marie-Hélène Huet - l’histoire des Voyages extraordinaires, essai sur l’œuvre de Jules Verne, Minard, 1973.
Daniel Compère : un voyage imaginaire de Jules Verne. Voyage au centre de la Terre - Archives des lettres modernes n°174 - Minard 1977.

Q-03 Actualité :
Quelle place Jules Verne a-t-il désormais dans votre vie ? Quel regard portez-vous aujourd’hui sur ses ouvrages ?

Jules Verne est le romancier incomparable de l’histoire de la littérature mondiale, unique, jusqu’au style. En seulement dix ans, il a fait aussi bien que les Beatles sur la même période. Le scarabée de Liverpool s'arrêtera net, l’œuvre est faite, promise à la légende, Verne à son tour pouvait finir sur sa Mystérieuse, cela suffisait à étourdir les académies pour des siècles. Non, le Nantais n’a pas fait ce pari-là, il fera des Voyages jusqu'au bout. Pourquoi ? Reprenant en refaisant une toile, roman après roman, il monte une tour qui atteindra une hauteur très spéciale pour un phare, son foyer culminant toujours juste au-dessus de l’horizon, quelle que soit la distance qui le sépare de son observateur.

En astrophysique les étoiles sont classées en fonction de leur spectre. Après examen des raies d'absorption, on en déduit notamment leur âge, leur composition en éléments chimiques et leur espérance de vie. L’examen du spectre de l'Étoile du Phare est déconcertant ; une richesse en éléments inouïe, mais incompatible avec son âge et sa position. Durée de vie : indéterminée. Unique je vous dis. Je m’attache à assouplir la posture de mes ami(e)s verniennes et verniens qui se raidissent, à l’évocation d’éléments d'Occult fantasy dans ce spectre. C’est du domaine du jeu. Un terme valise, il y a déjà des études sur ces observations et c’est déjà trop, pour certains. Oui, trop... peu ! Il me semble que l'anomalie serait plutôt qu'il n'y en eut pas, de ces éléments. Si l'astronomie fait bien chambre à part d'avec l'astrologie, aux temps de Jules Verne, l'écologie bourgeonnante est encore l'occultisme light de l'époque ; pour ne prendre qu'un exemple de lecture contemporaine. Ces faits se heurtent à un obstacle, part importante de la recherche canonique : les sources. "Jules Berne" n’invente rien et sa bibliothèque ne suffit pas. Quant à sa vie, elle semble, quand on n'y regarde d'un peu trop près, incompatible avec ce type d'observation à grand champ. Je gage que ces petits mystères en papier tomberont d'eux-mêmes, avec en sus quelques surprises ; car Verne et Hetzel me font penser à deux habiles concertistes et tout verniste sérieux sait qu’avec ces deux-là, on ne sait pas toujours lequel tient la flûte pendant que l"autre souffle dedans. Mais, qui bat la mesure ?

Q-04 Géographie :
Quel pays évoqué par Jules Verne vous a fait le plus rêver ? L’avez-vous depuis visité ? Que gardez-vous de la confrontation entre votre souvenir de lecture et la réalité découverte sur place ?

J'irais bien sur Gallia, par curiosité. Mais rien ne presse...

Q-05 Science :
Quelle est la machine vernienne (ou l’invention) qui vous fascine le plus ? Que représente-t-elle à vos yeux ?

L'invention de Xirdal : reconditionnée - c'est la mode - ingénieusement utilisée, même l'Épouvante ne pourrait rien contre elle et le Nautilus resterait plaqué sur le plancher océanique avec ses mystérieuses batteries. Na-na-nè-re !

Q-06 Personnalité :
Quel personnage de Jules Verne est le plus réussi selon vous ou vous intéresse le plus ?

Un seul ?! Sur l'ensemble de la production ? Impossible, je n'en choisirais qu'un, mais dans trois catégories : Bon, Brute et Truand. Allez, quatre noms, car hors de ces trois catégories, je prends Helena Campbell, une Nell sortie des Indes, résolue. Oui, il y a des femmes chez Jules Verne et ses Voyages leur accordent une supériorité sur les hommes : les folles guérissent, les fous jamais. Je place Héléna à la tête des personnages féminins, elle refuse un mariage arrangé. #BalanceTesOncles.
Le bon docteur Clawbonny
La brute Artigas
Le truand Aristobulus Sourcils (Ursiclos)

Clawbonny, petit gros éclectique, est un bon médecin, un vrai cas d'étude sur la trentaine de docteurs que proposera l'auteur, dont certains même ne servent à rien ! New age Jules Verne ? Cet homme éminemment aimable... ne fit jamais de mal à personne. Est-ce parce qu'il a peu pratiqué ? Il sait aussi cuisiner les huileux oiseaux marins et bien d'autres choses puisqu'un savant doit savoir un peu de tout. Arrogance supérieure ? Non, comme il le pécise lui-même, Je ne sais rien, vous dis-je, si ce n’est que je suis un ignorant. L'inspecteur Harry Callahan résume parfaitement ce type d'homme : Le sage est celui qui connaît ses limites.
Clawbonny nous soumet, entre autres, la théorie des échanges gazeux de l'écologie indienne, de l'haleine subtile et du prāna. L'homme assainit par cela même qu’il respire. Oui, Clawbonny sait vraiment un peu de tout et préfigure quelques protohippies de la Liebenreform. Le docteur Steiner aurait-il lu le docteur Clawbonny ?

(Attention spoiler) Dans la lumière d'une mise en scène inspirée, le Comte Artigas est un vilain boiteux, disciple de Nemo, toiletté à l'indienne, il maîtrise l'électricité et possède un sous-marin ombiliqué à son mère navire. Dans un récit de lutte entre le bien et le mal, il faut réussir le méchant, sur lui beaucoup repose. Homme haineux, Ker-Karraje, plus crédible que son modèle, est un des vilains les plus réussis des Extraordinaires.

Le sourcilleux Aristobulus Ursiclos du Rayon vert n'a pas lu, comme le fera "Dirty Harry", le maître Confucius. Il est de ces ridicules savants verniens qui savent tout, ignorant de leur propre ignorance. On mesure Ursiclos en bas de "l'échelle de Clawbonny ".
Truand, n'est-ce pas un peu fort ? Non, Verne, dans cette bluette repeinte en petite croisière, en fait une caricature des prélats du rationalisme, promettant le recul des mythes, superstitions et la disparition des pensées magiques. Voie du cœur versus voie de la raison, ce rayon fait-il le point ? J'ajouterai même un sous-titre à ce Voyage Initiatique d'Ursiclos, piquer à Augustin d'Hippone : L'esprit précède, l'intelligence suit.
Chez Jules Verne, certains personnages se refont. Avec le temps, Ursiclos se fera sage comme Clawbonny, qui lui a aussi beaucoup publié par le passé, des livres bien écoulés, faisant de lui un écouté et pourtant, il l'admet... : j'ai eu tort.

Q-07 « Proust » :
Quel défaut ou quelle faute des romans verniens vous inspire le plus d'indulgence ?

Désolé, je ne vois pas. Proust qui ?

Q-08 « ABC » :
Quelle expression aimeriez-vous formuler avec les initiales de Jules Verne (ou Jules Gabriel Verne) ?

Jurare in Verba Geni

Q-09 « Voyage dans le temps… » :
Si Jules Verne avait pu être transporté dans le XXIe siècle que nous connaissons, quelle invention ou quel progrès aurait pu inspirer son âme créatrice ?

Tome premier de la correspondance Verne-Hetzel, lettre n°6.
Le 5 janvier 1864, Hetzel écrit : Mon cher Jules, je donnerais je ne sais quoi pour n'avoir pas à vous écrire aujourd'hui. Vous avez entrepris une tâche impossible - et pas plus que vos devanciers dans des choses analogues - vous n'êtes parvenu à la mener à bien. C'est à mille pieds au-dessous de Cinq semaines en ballon. Si vous vous relisiez dans deux ans vous seriez d'accord avec moi. C'est du petit journal et sur un sujet qui n'est pas heureux. La suite est de la même eau : il n'y a pas là une seule question d'avenir sérieux résolue. Plus loin : une chose si pénible, si peu vivante (...) ni talent, ni adresse de détail - rien ne sauve ce qui ne peut pas être sauvé...
Dans mon souvenir⁽¹⁾, il s'agit de la première lettre d'Hetzel à Verne qui nous soit parvenue. L'éditeur y refuse le manuscrit de Paris au XX siècle... Théâtrale entrée en scène.
Cette volée verte va en Verne tout précipiter.
On le voit ruminer sa relation avec Hetzel, passer le matin prendre une lettre et un mouchoir à carreaux, Ce vilain rhume me tient depuis juin et cet Anglais au pôle Nord, prétend-il. Plus tard il remonte la rue Barrault et sur le conseil d'une amie, prend à gauche juste avant la rue Tolbiac. Il entre au numéro brodé sur le mouchoir, descend un escalier de 22 marches et au premier palier en monte un second d'à peu près autant. Celui-là mène à la porte étroite de la Kabine 24. Résolu, Jules Verne disparaît...

Poursuivre

Q-10 farfelue :
Si vous deviez lancer une rumeur à propos de Jules Verne, quelle serait-elle ?

Des rumeurs il y en eut de son vivant, plus qu'Homère, quelques voyages fabuleux, mais d'un auteur qui n'existe pas, il serait néanmoins polonais et son neveu le fait chanter... Il y a bien aussi celle de Verne qui fait faire du yoga à Phileas Fogg, en plein Londres, mais je préfère la lancer plus tard... Oups !
Je ne vois pas, mais mon guéridon tape onze fois... Puis, 19 fois, 53, 83 ..., enfin, une heure plus tard, 2 fois. Des nombres premiers, additionnés on obtient onze cent. C'est Jules Verne !
Sur le guéridon la pastille d'ambre glisse sur les caractères incrustés dans le bois de rose :
" ... et surtout, dis bien que Dan Brown est un minus, il m'a tout piqué ! C'est moi le Boss !! Bon, j'ai fait du roman, mais tout est... ".
Je jette un drap sur le guéridon comme on fait taire les perruches. Je tiens ma rumeur. Jules Verne s'ennuie...