Questionnaire Jules Verne et Vous


[ Julien MORVAN, France (Seine-et-Marne)

" Dans mon royaume enchanté, Jules Verne est à la place de la Joconde : son portrait occupe une salle entière, ornée, sur tous les murs, des plus beaux cartonnages des éditions Hetzel... "



Professeur d’histoire-géographie.

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Q-01 Souvenir :
Quel est votre souvenir le plus ancien de lecture d’un roman de Jules Verne ? Vous souvenez-vous comment ce livre était arrivé entre vos mains ?

Je me retrouve, enfant, un soir de Noël, volontairement isolé dans la cuisine familiale, petite pièce désuète, défraîchie, encore vierge des invités prêts à engloutir un banquet gargantuesque ; je devais avoir une dizaine d’années. Il était de tradition pour ma grand-mère de m’offrir chaque 24 décembre un « beau livre » : des biographies d’acteurs, la plupart du temps, des romans enfantins. Sous le papier cadeau cramoisi m’attendait un monde inconnu ; me voici encore, caressant délicatement les dorures factices d’une jolie édition en fac-similé du Tour du monde en quatre-vingts jours. Je ne connaissais pas encore Jules Verne, ni Phileas Fogg, pas plus le Capitaine Nemo que Michel Strogoff. Je me souviens des premières pages, les gravures imprimées, l’odeur de ce voyage à venir, le visage de Passepartout juché sur un éléphant ; le mystère avait un vernis sucré, mélange de sapin, de dinde aux marrons et de pâtisseries en mignardises. J’ai commencé la lecture à l’orée de la nuit, mes fenêtres ouvertes sur les étoiles. Je sautille encore sur l’une d’elles aujourd’hui, et je ne compte pas redescendre sur Terre.


Q-02 Nostalgie :
Quel roman de Jules Verne vous a fait la plus forte impression ? Quel âge aviez-vous lors de sa lecture ?

Un profond désir de solitude, ténébreuse, me pousse doucement, jour après jour, vers les tréfonds sans phares de la mélancolie, protégée des hommes (et des dieux). De la première à la dernière ligne, j’ai donc trouvé un éden littéraire délirant dans Les Indes noires, autre voyage chatoyant dans les entrailles du globe, où cohabitent des peuplades lacustres prêtes à rechercher sous la terre, au fond d’une ancienne fosse, l’air le plus pur qui soit. Un rêve à ciel couvert, loin des économistes, de la politique et du soleil immonde !


Q-03 Actualité :
Quelle place Jules Verne a-t-il désormais dans votre vie ? Quel regard portez-vous aujourd’hui sur ses ouvrages ?

Dans mon royaume enchanté, Jules Verne est à la place de la Joconde : son portrait occupe une salle entière, ornée, sur tous les murs, des plus beaux cartonnages des éditions Hetzel ; deux éléphants montent la garde sur son génie , abrité derrière une vitre blindée ; les fenêtres donnent sur une mer intérieure peuplée de monstres préhistoriques et sur des jungles luxuriantes. Il n’est jamais seul : une foule de pensées admiratrices défile quotidiennement devant son œuvre ; des lectures régulières sont autant de spectacles féériques dont ne se lasse jamais l’enfant rêveur qui dirige, comme un professeur Schultze, cette contrée inaccessible.


Q-04 Géographie :
Quel pays évoqué par Jules Verne vous a fait le plus rêver ? L’avez-vous depuis visité ? Que gardez-vous de la confrontation entre votre souvenir de lecture et la réalité découverte sur place ?

Il est fort probable que mon irrémédiable passion pour la Russie soit née quelque part au fond d’un chariot, dans la steppe infinie, glaciale, aux côtés de Michel Strogoff et Nadia. Je ne suis pas encore allé jusqu’à Irkoutsk, hélas, mais à Moscou, accompagné des esprits aventuriers de Jules Verne et Tintin. Pour autant, s’il est un pays lointain, un monde inconnu, que je rêve de visiter, c’est bien le centre de la Terre ! Si d’aventure, il m’arrivait un jour de mourir, j’aimerais qu’on disperse mes cendres dans la mer Lidenbrock !


Q-05 Science :
Quelle est la machine vernienne (ou l’invention) qui vous fascine le plus ? Que représente-t-elle à vos yeux ?

Le Nautilus est incontestablement la machine la plus envoûtante de Jules Verne, mais je nourris une passion puérile pour le « Géant d’Acier » de la Maison à vapeur, cet éléphant mécanique qui traîne des wagons luxueux au milieu d’une jungle indienne fantasmagorique. Jules Verne est invraisemblable, grandiose dans sa frénésie poétique, toujours sans limites ! Sa machine est un rêve d’excentrique, le jouet d’un écrivain facétieux dans un monde inventé de toutes pièces, avec des reflets lointains de civilisation occidentale.


Q-06 Personnalité :
Quel personnage de Jules Verne est le plus réussi selon vous ou vous intéresse le plus ?

Phileas Fogg est l’un des personnages les plus mémorables de la littérature du XIXe siècle. Comme Athos, Porthos et Aramis, Madame Bovary, avant lui, ou Lolita, plus tard, le gentleman du Reform Club chemine désormais dans nos rues imaginaires, en toute liberté, libéré de sa prison de prose ; en France et en Europe, il est un lieu commun autant qu’un lieu de mémoire. Les plus cartésiens, aussi logiciens dans leur réalité que Fogg l’était dans sa fantaisie, s’imaginent souvent toucher du doigt une représentation (caricaturale) de l’aristocratie britannique d’un siècle passé ; et de l’imagination fertile à la sociologie insignifiante, il n’y a plus qu’un maigre ruisseau à franchir ! Pauvre Jules Verne, réduit à l’état de simple photographe de son époque. Alors que Phileas Fogg est, tout au contraire, l’archétype du personnage de fiction, méticuleusement dessiné par son auteur, chez qui il serait tout à fait vain de fureter les marques du réel : créature absurde (son voyage), détestable (un rentier pédant), joueur (le pari), snob (les paysages ne l’intéressent pas) et romantique, il est un Byron « qui aurait vécu mille ans sans vieillir ». Phileas Fogg n’est pas un personnage réel, c’est une légende, un personnage de conte de fées ! Et ceux qui pensent comprendre l’époque victorienne par l’analyse des injonctions de ce farfelu tombent encore dans les tours de passe-passe de Jules Verne : autant repeindre l’Histoire contemporaine à l’acrylique ou considérer la noblesse roumaine comme héritière de Dracula !


Q-07 « Proust » :
Quel défaut ou quelle faute des romans verniens vous inspire le plus d'indulgence ?

Assommée par les contraintes éditoriales d’Hetzel, la fantaisie créatrice de Jules Verne accordait une place considérable à l’érudition scientifique, donc à la réalité concrète de son temps. En subsistent, parfois, des passages laborieux dans lesquels l’imaginaire est en retrait  ; aussi des errements personnels un peu datés (le vocabulaire de marine omniprésent dans Le Phare du bout du monde).


Q-08 « ABC » :
Quelle expression aimeriez-vous formuler avec les initiales de Jules Verne (ou Jules Gabriel Verne) ?

« Jubilatoire Volupté »


Q-09 « Voyage dans le temps… » :
Si Jules Verne avait pu être transporté dans le XXIe siècle que nous connaissons, quelle invention ou quel progrès aurait pu inspirer son âme créatrice ?

Le Docteur Folamour est un cousin éloigné de Robur ; le K-19 soviétique n’est-il pas une machine vernienne ? Et Dennis Tito, avec son Inspiration Mars Fondation, ses folies d’excentrique, n’est-il pas un autre Michel Ardan ? Conforté dans un pessimisme galopant, Jules Verne aurait probablement trouvé dans la force nucléaire, la perfection des armes contemporaines ou les artifices diaboliques du terrorisme mondialisé, matière à de sombres aventures où les hommes, guidés par des intelligences artificielles satanées, se perdent au-devant de leurs propres inventions, ou folles décisions.


Q-10 farfelue :
Si vous deviez lancer une rumeur à propos de Jules Verne, quelle serait-elle ?

Sans émotion particulière, laconique et plein de morgue – mais avec le sourcil facétieux – je ne perdrais pas une occasion, en ville, lors des dîners mondains, à toutes les réunions du Reform Club, devant un descendant du Tsar, à mon pilote de montgolfière, aux petits gars de la Marine nationale, enfermés dans un Triomphant ou un Téméraire pendant des mois, à tous les gardiens de phares, aux évadés de la Comète, aux gueules noires à la retraite, à mes amis chinois, américains, aux commandeurs de singes de Gibraltar, aux âmes gaies toujours dans la Lune, à la grande famille du cirque, aux excentriques de tous poils, aux Hatteras exaltés, aux enfants qui veulent rester enfants, à mes élèves, à ma famille et à moi-même, oui, je leur dirais  volontiers : « Vous savez, Jules Verne, c’était mon ancêtre … »