Questionnaire Jules Verne et Vous


[ Philippe Scheinhardt, France

" Pour Jules Verne, la machine, aussi anticipatrice soit-elle, constitue avant tout un vecteur de translation dont l'écrivain s'empare pour que ses personnages profitent de cette anticipation au gré d'un voyage dans l'inconnu. "



Documentaliste dans le cadre scolaire.
Recherches sur l’univers scientifique et technologique du XIXème siècle.

Auteur de :
Diverses contributions dans Jules Verne écrivain, Nantes, Joca seria, 2000.
Jules Verne : un processus d'écriture sous contraintes, Genesis, n° 33, 2011.


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Q-01 Souvenir :
Quel est votre souvenir le plus ancien de lecture d’un roman de Jules Verne ? Vous souvenez-vous comment ce livre était arrivé entre vos mains ?

Autant que je me souvienne (qui peut dire qu'il ne s'agit pas d'une reconstitution...!), c'est un Tour du monde en quatre-vingts jours de la Bibliothèque verte qui m'aurait éveillé au monde de Jules Verne : je devais être âgé de 14 ans. De façon certaine, en revanche, je peux dire que c'est la collection de mon grand-père qui m'a véritablement émerveillé pendant ma jeunesse car il possédait dans sa bibliothèque l'intégrale du de LGF/Livre de poche de 1967 avec les fascinantes illustrations reproduites en fac-simile. C'est le point de départ de ma passion pour la lecture des romans de Jules Verne.


Q-02 Nostalgie :
Quel roman de Jules Verne vous a fait la plus forte impression ? Quel âge aviez-vous lors de sa lecture ?

C'est un roman que j'ai découvert tardivement, vers 1990, lorsque j'ai décidé de reprendre mes études : Le Château des Carpathes. Je découvrais la composante fantastique de l’œuvre de Jules Verne, et avec l'aide de mon directeur de mémoire, j'ai vraiment plongé dans le sombre puits d'une écriture littéraire bien plus complexe dans son fonctionnement que celui de sa lecture, et c'est ce hiatus qui m'a passionné à ce moment-là.

Q-03 Actualité :
Quelle place Jules Verne a-t-il désormais dans votre vie ? Quel regard portez-vous aujourd’hui sur ses ouvrages ?

Je le côtoie tous les jours. On ne passe pas des dizaines d'années en compagnie de ses textes et de ses manuscrits sans le sentiment de sa présence. Je le partage, il est vrai, depuis quelques années avec un de ses contemporains, Camille Flammarion. Mais c'est toujours avec cette idée que le grand écrivain qu'il est profite de ces connexions avec ses contemporains, et je garde toujours un faible pour ces romans sur la comète (La fin du monde et Hector Servadac), même si rien na pu être attesté de la rencontre entre ces deux romanciers de la science.


Q-04 Géographie :
Quel pays évoqué par Jules Verne vous a fait le plus rêver ? L’avez-vous depuis visité ? Que gardez-vous de la confrontation entre votre souvenir de lecture et la réalité découverte sur place ?

La Maison à vapeur et de son contexte historique de la guerre de Cipayes. Je ne suis jamais allé en voyage dans l'Inde septentrionale, et cette idée m’effrayerait sans doute aujourd'hui, quand j'observe de quelque façon ce pays-continent évolue dans le lit de la mondialisation avec ses excès tiersmondistes, sans beaucoup de place pour l'imagerie coloniale de la forteresse de Cawnpore (Kampour), bien à l'abandon à quelques mètres du mémorial de Bibirarh. Rêves de vernien...


Q-05 Science :
Quelle est la machine vernienne (ou l’invention) qui vous fascine le plus ? Que représente-t-elle à vos yeux ?

C'est toujours en Inde avec la superbe machine de l'ingénieur Hod que je suis le plus en phase, bien plus à la limite entre homme et animal que le Nautilus à mon sens. Ce Géant d'acier évoque d'ailleurs de façon particulièrement sensible la fascination de Jules Verne pour le fonctionnement des machines, avec ses rouages et ses enchaînements dynamiques. L'illustration de Léon Benett incarne cette pulsation mécanique de l'animal jusqu'aux derniers instants du récit.


Q-06 Personnalité :
Quel personnage de Jules Verne est le plus réussi selon vous ou vous intéresse le plus ?

Le choix est difficile. Mais mon intérêt s'oriente insidieusement vers le personnage le plus distant de l'identification première du lecteur. En ce sens, je suis autant attaché aux figures du savant original comme Palmyrin Rosette qu'à celles du monomane romantique comme Rodolphe de Gortz. Sans leur obsession, l'aventure suivrait son cours au lieu d'être entraîné par ce centre de gravité autour duquel tourne l'enjeu du voyage extraordinaire.


Q-07 « Proust » :
Quel défaut ou quelle faute des romans verniens vous inspire le plus d'indulgence ?

Camille Flammarion reproche à son contemporain le manque d'audace dans son voyage lunaire mais ne relève pas les failles de la vraisemblance scientifique, car l'astronome considère d'emblée le voyage spatial comme impossible. Où se situe la faute de Jules Verne ? dans le fait d'imaginer un tel voyage au-delà de l'état des connaissances scientifiques et techniques de son temps ou de limiter ce voyage à une fantaisie en orbite sans d'autres audaces qu'un parcours des représentations de la Lune, selon les leçons de la littérature et de la science humaines ? L'anticipation mérite toujours un peu d'indulgence !


Q-08 « ABC » :
Quelle expression aimeriez-vous formuler avec les initiales de Jules Verne (ou Jules Gabriel Verne) ?

« Journal de voyage ». Jules Verne en a rédigé quelques-uns pendant ses périples maritimes. C'est l'accessoire le plus naturel pour un voyageur écrivain. Ses personnages l'ont adopté à divers égards, de Axel Lidenbrock à J.-R. Kazallon.


Q-09 « Voyage dans le temps… » :
Si Jules Verne avait pu être transporté dans le XXIe siècle que nous connaissons, quelle invention ou quel progrès aurait pu inspirer son âme créatrice ?

Pour Jules Verne, la machine, aussi anticipatrice soit-elle, constitue avant tout un vecteur de translation dont l'écrivain s'empare pour que ses personnages profitent de cette anticipation au gré d'un voyage dans l'inconnu. Quel véhicule correspond encore à ce critère au XXIe siècle ? Notre planète soumise à la globalisation ne laisse guère d'espaces géographiques non cartographiés disponibles pour une aventure et c'est plutôt l'enjeu de la préservation de la nature contre l'effondrement écologique qui constitue aujourd'hui une réserve d'expériences et de récits plus ou moins utopistes pour une humanité acquise à un changement radical de ses modes de vie. Est-ce un progrès ? A moins que l'on voit, avec une certaine dose de cynisme, les préoccupations des milliardaires pour un tourisme spatial de type Space X comme un vecteur des voyages dans le Cosmos au-delà du système solaire comme en rêvait un certain Palmyrin Rosette...


Q-10 farfelue :
Si vous deviez lancer une rumeur à propos de Jules Verne, quelle serait-elle ?

Jules Verne aurait rencontré Camille Flammarion dans un de ces nombreux salons qu'organisait l'astronome vulgaristeur pour des leçons de science. Ont-ils conversé hors les mondanités d'usage ? L'admiration de l'invité a-t-il réussi à déchirer les filtres des réticences de son hôte ? Imagine-t-on seulement un discours de théâtre où les deux romanciers scientifiques, l'un revendiquant sur l'autre la faveur du primi conditoris, comme deux protagonistes d'une scène de la pièce perdue des Savants (pardon pour la petite entorse à la chronologie !) ?