[ Témoignages En mémoire de Simone Vierne (1932-2016)
Par Piero Gondollo della Riva, Marie-Hélène Huet, Xavier Noël & Laurence Sudret
Hommages plubliés initialement dans le BSJV N°192 - Août 2016
Je rencontrai pour la première fois Simone Vierne à Grenoble, où elle me reçut chez elle, en juillet 1967. J’avais dix-neuf ans et, étant depuis cinq ans un chercheur passionné, je désirais rencontrer personnellement cette grande spécialiste de Jules Verne. Elle avait déjà publié des articles très intéressants sur notre écrivain : en particulier, j’avais été frappé par son article « L’authenticité de quelques œuvres de Jules Verne »1 dans lequel elle tranchait d’une manière définitive le problème de la fausse attribution à Verne du roman Prodigieuse découverte et ses incalculables conséquences sur les destinées du monde (anonyme dans l’édition Hetzel de 1867, mais signé « Julio Verne » et « Giulio Verne » dans les éditions espagnoles et italiennes à partir de 1868).
Simone Vierne était, à l’époque, maître de conférences de littérature française à l’université de Grenoble et membre du « Centre de recherches sur l’imaginaire » de Chambéry et travaillait depuis longtemps à sa thèse de doctorat (sous la direction du professeur Léon Cellier) publiée en 1973 aux éditions du Sirac sous le titre Jules Verne et le roman initiatique. il s’agit d’un extraordinaire volume de 779 pages qui parut à un moment où Jules Verne commençait à peine à être considéré comme un écrivain tout-court, et non plus comme un « écrivain pour la jeunesse » ou comme « le père de la science-fiction ». Dans son livre, Simone Vierne met en relief tous les thèmes initiatiques présents dans l’œuvre vernienne, en découvrant, pour ainsi dire, un visage nouveau de l’auteur.
Pour faire ses recherches, Simone Vierne passa des journées entières à la Bibliothèque nationale où, la première, elle eut la chance de consulter, avant d’écrire quoi que ce soit sur Jules Verne, la totalité des lettres manuscrites (à l’époque inédites) que ce dernier avait envoyées à Hetzel père et fils.
Mon amitié avec Simone Vierne était destinée à durer : on se revoyait à Paris, à Grenoble ou à Turin : chaque fois j’étais frappé par son attitude sérieuse et scientifique. C’était l’époque où on disait n’importe quoi à propos de notre écrivain, alors que toutes les études de Simone Vierne étaient basées sur une documentation solide avec une méthode qui ne visait pas à prouver coûte que coûte la véridicité de ses opinions personnelles, mais qui montrait son effort de s’approcher le plus possible de la vérité. Elle publia plusieurs études : L’Ile mystérieuse de Jules Verne (Hachette, 1973), Jules Verne (Balland, 1986), Jules Verne. Mythe et modernité (PUF, 1989), Qui suis-je? Jules Verne (Pardès, 2005).
Simone Vierne, professeur émérite de l’université de Grenoble et directrice honoraire du « Centre de recherches sur l’imaginaire », a été aussi membre du Comité de Direction de la Société Jules Verne entre 1969 et 1984 et membre de son comité d’honneur à partir de 1984. Elle avait également enseigné au Canada et au Japon. Décédée le 18 janvier 2016, elle va nous manquer dans le monde des études verniennes.
Piero Gondollo della Riva
1Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest (Rennes), tome 73, n° 3, septembre 1966, pp. 445-458.
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J'ai commencé à travailler sur Jules Verne à une époque où les contacts entre chercheurs étaient rares, où aucune réédition complète de ses œuvres n’était accessible, et où les éditions originales restaient encore enfouies dans les greniers des demeures familiales ou les arrière-boutiques des librairies d’occasion. C’est dans l’une d’elles que je rencontrai robert Boucher qui me mit en contact avec François raymond qui, lui-même, me parla de Simone Vierne. Je lui écrivis aussitôt, lui parlant de mon sujet sur les idées politiques de Jules Verne et elle eut l’extrême gentillesse de m’envoyer tout ce qu’elle avait relevé dans la correspondance entre Jules Verne et Hetzel qui avait trait à mon sujet.
Je partis à Berkeley et je n’eus jamais par la suite l’occasion de rencontrer Simone Vierne. Mais je suivis naturellement ses écrits dont bien sûr Jules Verne et le roman initiatique, cette analyse exceptionnelle, magistrale et subtile en même temps, des Voyages extraordinaires.
il y a un détail de nos relations indirectes que j’ai toujours trouvé charmant : Simone Vierne a eu la gentillesse de citer le petit livre que j’avais publié après ma thèse2 et qu’elle attribuait souvent à Marie-Thérèse Huet. il se trouve que j’appartiens à une famille nombreuse d’origine nantaise et dans laquelle toutes mes sœurs ont un nom qui commence par Marie. Marie-Thérèse était mon aînée. Je me suis bien gardée de signaler cette erreur à Simone Vierne. Elle est restée pour moi cette femme remarquable qui avait pris le temps de relever soigneusement tout ce qui pourrait aider une jeune étudiante qu’elle ne connaissait pas et qui avait seulement sollicité son aide. C’est le genre de dette qui ne s’oublie pas.
Marie-Hélène Huet
2 Marie-Hélène Huet : L’Histoire des Voyages extraordinaires. Essai sur l’œuvre de Jules Verne. Minard/Les lettres modernes, 1973 (coll. avant-siècle, 14), 206 p.
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Les chercheurs sont unanimes à souligner à quel point la qualité du travail de Simone Vierne a permis de faire avancer l’étude et la compréhension de l’œuvre de Jules Verne. Et tous ceux qui l’ont connue se souviennent aussi de sa grande gentillesse.
Pour ma part, je n’oublie évidemment pas que c’est à elle que l’on doit d’avoir découvert, dans la correspondance entre Philippe Daryl et Pierre-Jules Hetzel, la double paternité de certains romans de Jules Verne (« L’authenticité de quelques œuvres de Jules Verne ») ; il s’agit des textes qui ont pour origine une version initiale de Paschal Grousset. Cela doit évidemment être rappelé alors que la Bibliothèque municipale de Nantes vient de numériser le manuscrit de L’Étoile du Sud, récemment acquis par la Ville, qui porte la signature de Philippe Daryl.
En 1986, au colloque Hetzel à Nantes, Christian Robin m’invita à faire une communication sur André Laurie et Pierre-Jules Hetzel. J’étais alors particulièrement intimidé car c’était la première fois que je faisais une communication devant un public de spécialistes. Or, le regard bienveillant de Simone Vierne me soutint et me rassura de sorte que cette épreuve se passa bien ! Je rappelai récemment ce souvenir marquant pour moi, quand Christian Robin me reçut à l’académie de Bretagne et des Pays de la Loire.
Je revis avec beaucoup de bonheur Simone Vierne aux rencontres Jules Verne organisées à l’Ecole centrale de Nantes en novembre 2010. Lors de ce colloque intitulé « Science, technique et société : de quoi sommes-nous responsables ? » nous étions quelques verniens à nous retrouver pour partager nos travaux relatifs aux « Mises en scènes verniennes ». Dans sa conférence portant sur le Magasin d’éducation et de récréation, Simone Vierne consacra d’ailleurs un développement spécifique à André Laurie qui m’intéressa vivement.
Xavier Noël
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C'est toujours avec tristesse que l’on apprend la disparition de ceux qui ont eu un impact et/ou une influence sur vos recherches.
Pour ma part, Simone Vierne et Jean Chesneaux sont les deux premiers noms que j’ai entendus lorsque j’ai commencé à m’intéresser à la recherche vernienne.
Coïncidence, j’ai eu la chance (et le privilège) de les rencontrer tous les deux, séparément. alors que j’évoluais, illustre inconnue, dans les colloques qui rendaient hommage en 2004 et 2005 au grand Jules, je pus rencontrer les membres de la recherche vernienne dont ils faisaient partie. Comme c’est toujours le cas, ces deux figures de proue, ces deux auteurs reconnus, se montraient attentifs aux autres, drôles et spirituels, intéressants et intelligents, ouverts sur tant de sujets, aimables et même... modestes. La première fois que je rencontrai Simone Vierne, à Nantes, elle portait un badge portant son nom (ne pensant pas du tout que tout le monde dût la connaître...) et alors que je lui étais présentée, elle me donna son nom, le plus simplement du monde, comme si elle s’attendait à ce que la plupart ne la connaisse pas (ce qui, bien sûr, n’était nullement le cas...) Quel changement avec certains !
Christian Robin, en rendant hommage au regretté Jean Chesneaux, avait lancé qu’à propos de Jules Verne, il avait écrit peu mais dit beaucoup ! (à l’inverse de tant d’autres qui pensent que l’important est de publier). Quel beau propos, si juste. Je prends plaisir à le plagier à propos de Simone Vierne qui, si elle publia sur Verne plus que Jean Chesneaux, pensait comme elle me le dit un jour, que l’important est de s’ouvrir aux autres disciplines (toutes) et de publier quand on a quelque chose à dire... Sage propos d’une femme sage que tant d’entre nous regretterons.
Laurence Sudret