[ Témoignages. En mémoire de Michel Serres (1930-2019)
Par Laurence Sudret
Michel Serres (1930-2019) ; membre de l’Académie française depuis 1990
et de l’Académie européenne des sciences et des arts.
Lorsque j’étais étudiante et que je préparais mon D.E.A. de littérature française (le master
ne s’était pas encore imposé), je détestais lire les essais et les critiques considérant que les
étudiants – et parfois les professeurs - passaient plus de temps à lire les études des grands
ouvrages littéraires que lesdits ouvrages. Néanmoins, il y avait les incontournables : Butor, Barthes,
Chesneaux, Vierne, Huet… et bien sûr Serres. Son Jouvences sur Jules Verne, paru en 1974
aux Editions de Minuit, faisait partie des obligations. Il fallait le lire. Alors je le lus
et compris pourquoi il était une référence.
Cet ouvrage, aujourd’hui encore fait partie des œuvres majeures de la recherche vernienne.
Certes le style n’en est pas toujours aisé mais je me souviens du plaisir pris lorsque je suivais
ses analyses, le stylo à la main. Quiconque appréciait Verne devinait dès les premières pages que
cet ouvrage compterait car il apportait un éclairage important sur certains de ses romans qui ne
figuraient pourtant pas parmi les plus connus. Et pour compter, il compta. Et aujourd’hui encore,
cet ouvrage est considéré comme un des ouvrages indispensables pour tous ceux qui se lancent dans
la recherche vernienne.
Par la suite, Michel Serres poursuivit ses analyses dans Conversations, Jules Verne, la science
et l'homme contemporain qui parut dans la Revue Jules Verne en 2002 et qui fut ensuite repris en
2003 aux Editions Le Pommier. Dans ces derniers ouvrages, son approche était plus claire, plus
facilement abordable et il regrettait d’ailleurs son style - pas toujours clair - des Jouvences.
Inutile de dire que, pour paraphraser Christian Robin quand il rendit hommage à Jean Chesneaux,
contrairement à certains chercheurs qui écrivent beaucoup pour dire peu, Michel Serres écrivit
peu mais dit beaucoup. Et on ne peut, aujourd’hui encore, qu’encourager les lecteurs et amateurs
de J. Verne à lire les ouvrages que nous avons cités.
Ajoutons enfin que Michel Serres ne fut pas seulement un vernien éclairé. Il fut un homme éclairé
dans le sens le plus pur du terme et, surtout, il eut à coeur de mettre cette Lumière, à la portée
du plus grand nombre. A une époque où la plupart des chercheurs ont le sentiment qu’ils sont surtout
intelligents quand ils sont compris d’un petit nombre, il pensait précisément l’inverse. Et il avait
à coeur de diffuser le plus possible ses réflexions, ses analyses – quels que soient les sujets
traités et ils étaient vastes – auprès du plus grand nombre. Tous les moyens étaient à son goût
pour mener à bien sa croisade contre l’obscurantisme intellectuel : la radio, la télévision,
les livres…
Plus qu’un grand vernien, nous avons perdu ce 1er juin, un grand intellectuel qui avait à coeur
de diffuser largement son savoir, sa culture et ses interrogations. A une époque où la culture
est tellement mise à mal et où il faut sans cesse lutter pour préserver ce qui reste des « Lumières »,
ce n’est pas seulement une triste nouvelle que nous avons reçue, c’est une immense perte que nous
avons subie.