bulletin de la Société Jules Verne
N° Hors-série - Le Tour du monde en quatre-vingts jours Juillet 2022
À l’occasion de l’exposition « Le Tour du monde a 150 ans », Musée Jules Verne, Nantes, 1er juillet – 16 octobre 2022.
[ Avant-propos
Par Agnès Marcetteau-Paul
Le 150e anniversaire de la publication du Tour du monde en quatre-vingts jours méritait bien l’exposition que lui consacre le Musée Jules Verne, ainsi que ce Hors-série du Bulletin de la Société Jules Verne en présentant les pièces les plus marquantes comme autant de jalons du phénomène culturel universel qu’est devenue cette œuvre, illustrée, traduite dans toutes les langues, adaptée au théâtre en féerie à tableaux, en spectacle oculaire, au cinéma et à la télévision, en jeux de société, jouets, et autres produits « dérivés », en lieux et décors de mémoire (rues, magasins, bars…), inlassablement imitée et réadaptée par des écrivains ou par de véritables globe-trotters. La liste n’en est d’ailleurs pas close.
Ainsi, en 2021, plusieurs télévisions européennes ont-elles uni leurs forces pour en proposer une nouvelle
adaptation en huit épisodes, le best-seller de Jules Verne s’étant « imposé naturellement » aux producteurs
« à la recherche de grandes histoires avec du souffle, susceptibles d’embarquer un large public familia l ».
La trame du roman, et du voyage, est conservée mais revisitée par les scénaristes, pour un public du XXIe siècle.
Au risque de déformer ou trahir Jules Verne, regretteront les puristes ? Mais non sans dévoiler le contexte et
l’intertexte si savamment dissimulés par le romancier. Prenons ainsi le 1er épisode qui se passe en grande
partie dans Paris encore secoué par la Commune : ce n’est pas seulement « un bon point de départ
dramatique » 2, c’est également un intéressant écho aux circonstances de la composition et de la réception
de l’œuvre originale.
Il en est de même, sinon davantage, des transformations opérées sur les protagonistes de l’aventure.
Tête d’affiche et coproducteur, David Tennant, vedette des séries-cultes Broadchurch et Doctor Who,
campe un Phileas Fogg qui n'est plus l'imperturbable et énigmatique gentleman britannique, mais un
homme angoissé et blessé qu’un sursaut va lancer dans l’aventure et réconcilier avec la vie. À ses côtés
« l’auteur a mis une femme (la journaliste Abigail Fix interprétée par Leonie Benesch, qui remplace
le détective Fix tout en affirmant un féminisme que Mrs Aouda incarnait en filigrane) et un noir
(Passepartout interprété par Ibrahim Koma qui, à l’indépendance d’esprit, joint l’engagement politique
dans la Commune) au centre de l’intrigue et a réussi à faire en sorte que cela semble parfaitement
anodin. Ce qui n’était pas anodin devient anodin et c’est là que l’histoire écrite il y a 150 an
s devient parfaitement contemporaine. C’est comme ça. Ce n’est pas autrement. La question ne se
pose pas. Au fond, c’est comme de moderniser Hamlet. Vous ne changez pas les mots. C’est le point
de vue qui change. » 3
La conclusion n’en est pas moins la même : « Fogg, Fix et Passepartout feront des rencontres qui changeront
à tout jamais leur manière de voir le monde. Ils devront relever de grands défis qui les amèneront à révéler
le meilleur d’eux-mêmes. En se confrontant
à de nouvelles cultures et manières de vivre, nos héros, poussés
dans leurs retranchements, comprendront l’importance de la tolérance, de l’ouverture d’esprit et de la
confiance, mais aussi celle de l’amour… » 4
Quelques années plus tôt, en 2004, dans un autre remake grand public taillé sur mesure pour
Jackie Chan-Passepartout, Aouda avait cédé la place à Monique La Roche, jeune française volontaire
et indépendante à laquelle Cécile de France prêtait son charme et son énergie. Autant de mises au
goût du jour et mises à jour qui viennent enrichir notre lecture5 et témoigner de la force d’une
œuvre, que tout le monde connaît sans l’avoir lue et que personne ne peut découvrir sans effectuer
un voyage initiatique tel que celui proposé également dans l’exposition par Gwenola Wagon avec son
œuvre vidéo Globodrome : une enquête photographique, historique, géographique, topologique, anecdotique,
politique sur les pas de Phileas Fogg à l’ère des satellites géostationnaires, « interrogeant le statut
d’un globe virtuel donnant à l’explorateur un regard déictique et transformant la Terre en un fascinant
et dramatique métavers » 6.
L’aventure de la « tourdumondité », tellement questionnée par l’actualité écologique, économique
ou géopolitique, ne ferait-elle que commencer ?
1 Comme l’indique la présentation de la série sur le site de France Télévisions– https://www.francetelevisions.fr/et-vous/notre-tele/a-ne-pas-manquer/depart-du-tour-du-monde-en-80-jours-9161.
2 Interview donnée par David Tennant au Journal du dimanche, 19 décembre 2021.
3 Interview donnée par David Tennant au Figaro - https://tvmag.lefigaro.fr/programme-tv/david-tennant-il-y-a-un-plaisir-particulier-a-incarner-un-personnage-comme-phileas-fogg_3878eaea-5f4f-11ec-863d-cc454c3456ac/
4 Cf. supra la présentation de la série sur le site de France Télévisions.
5 Cf. Alexis Thébaudeau, « Jules Verne grand écran. Rôles féminins et adaptations
cinématographiques des romans de Jules Verne, Planète Jules Verne #6, mars 2019.
6 Cf. https://d-w.fr/fr/projects/globodrome/
Agnès Marcetteau-Paul mai 2022
[ contenu
Textes réunis par Jean Demerliac.
Agnès Marcetteau-Paul : Avant-propos (pp. 1-2) ; J. Demerliac : Le tour du monde en 150 ans (4-39) ; Daniel Compère : Jules Verne, Études littéraires, « Edgard Poë et ses œuvres », Musée des Familles n° 7, avril 1864 (40-41) ; Jean-Yves Paumier : « L’entrée du tunnel du Mont Cenis », « Port Said, le canal », cartes postales (42-43) ; Volker Dehs : Le manuscrit de Cadol (44-45) ; V. Dehs : Le manuscrit (46-47) ; V. Dehs : Les éditions (48-49) ; V. Dehs : Les illustrations (50-51) ; D. Compère : Adolphe d’Ennery (1811-1899) (52-53) ; Joëlle Dusseau : Lettre de Jules Verne à Eugène Ritt et Henri Larochelle (1874) (54-55) ; A. Marcetteau-Paul : André Gill, caricature de Jules Verne, L’Éclipse, 13 décembre 1874 (56-57) ; Jean-Louis Mongin : « Un monsieur de l’orchestre » (Arnold Mortier) (58-59) ; J. Dusseau : Le Tour du monde en 80 jours, affiche de théâtre (60-61) ; J.-Y. Paumier : Le Tour du monde en 80 jours, affiches du théâtre de la Renaissance, Nantes (1875) (62-63) ; Sylvie Roques : Le Tour du monde en 80 jours, cartes postales du Châtelet 1902 (64-65) ; Philippe Burgaud : Le Tour du monde en 80 jours, affiche du Châtelet, 1908, carte postale du Châtelet (66-67).
Virginie Pottier : Plaques de verre de lanterne magique, Le Tour du monde en quatre-vingts jours, vers 1880 (68-69) ; François Angelier : Le Tour du Monde « Le théâtre chez soi en relief » (70-71) ; A. Marcetteau-Paul : Le Tour du monde en 80 jours, théâtre de papier, Alfred Jacobsen, 1881 (72-73) ; Marie-Hélène Huet : Le Tour du monde en 80 jours, assiettes en faïence Creil et Montereau, ca. 1880 (74-75) ; Piero Gondolo della Riva : Les séries de chromos Le Tour du monde en 80 jours (76-77) ; M.-H. Huet : Jeu du tour du monde (78-79) ; J. Demerliac : Montre-régulateur Rosnerita (80-81) ; Ph. Burgaud : Les Voyages extraordinaires de Saturnin Farandoul, Albert Robida, 1879 (82-83) ; Laurence Sudret : Le Tour du monde d’un gamin de Paris, Louis Boussenard, 1880 (84-85) ; Jean-Pierre Albessard : Nellie Bly, 1864-1922 (86-87) ; Masataka Ishibashi : Les Cinq Sous de Lavarède, Paul d’Ivoi, 1894 (88-89) ; Anonyme [1896] : Le Tour du monde en 80 minutes de François Borgel-Court, élévation, plan et coupe (1895-1897) (90-91) ; J. Demerliac : Panorama du tour du monde, Louis Dumoulin, 1900 (92-93) ; Xavier Noël : Le Tour du monde en 63 jours de Gaston Stiegler, 1901 (94-95) ; J. Demerliac : Le Tour du monde d’un policier, Charles Lucien Lépine, 1906 (96-97) ; J. Demerliac : Cartes postales de « Globe-trotters » (98-99) ; Ph. Burgaud : Le Tour du monde en 18 jours, B. Reeves Eson et Robert F. Hill, 1922 (100-101) ; V. Dehs : Le tour du monde de Palle Huld, 1928 (102-103) ; Stéphane Pajot : Jules Verne célébré à la mi-carème (104-105) ; F. Angelier : « Mes tours du monde par Jean Cocteau, Voilà, 13 mai 1938 (1) (106-107) ; Jean Delabroy : « Mes tours du monde par Jean Cocteau », Voilà, 13 mai 1938, Paris Soir, « Mon tour du monde en 80 jours », 1er août 1936 (108-109) ; Emmanuelle Grunvald : Le Tour du monde en 80 jours, Auguste Leroux, dessins, esquisses d’éléphants pour l’édition Hachette de 1938 (110-111) ; Christophe Reffait : « Françoise et Jean-François font le tour du monde », 16 vignettes « Astra », 1954 (112-113) ; J. Demerliac : Around the World in 80 Days, Michael Todd, Michael Joseph Anderson, 1954 (114-115) ; V. Dehs : Les recettes du Tour du monde à Paris (116-119) ; Crédits (120)
[ Le manuscrit (texte intégral)
par Volker Dehs.
Il existe deux manuscrits du roman, qui sont représentatifs de la manière d’écrire de Jules Verne à cette époque, entre 1863 et 1877 : après avoir arrêté l’action générale, sa chronologie et les personnages principaux, il esquissait les chapitres consécutifs avec des mots-clés qu’il rangeait dans des listes. Ensuite, il rédigeait hâtivement une première version du texte dans une écriture minuscule, parfois difficile à déchiffrer. C’est le manuscrit conservé au musée Jules Verne, généralement désigné à ce stade du processus comme brouillon, qui est ici présenté. À partir de 1877 environ, une rédac- tion au crayon (en une ou deux versions) remplaçait cette première rédaction du texte que Jules Verne repassait directement à l’encre pour rédiger une deuxième version corrigée.
Cette deuxième version du texte entier, la mise au net, élaborée dans une écriture bien plus grande, parfois calligraphiée, a survécu – dans le cas du Tour du monde en quatre-vingts jours – dans les archives personnelles des éditeurs Hetzel et fut déposée en 1965 par les héritiers, avec bien d’autres manuscrits, correspondances et documents iconographiques, au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France (NAF 16932 à 17152). C’est ce second manuscrit qui fut habituellement proposé à la lecture cri- tique des éditeurs, ensuite corrigé et communiqué aux imprimeurs.
Le travail de Jules Verne ne s’arrêtait pas là, mais se poursuivait par la correction des épreuves dont l’écrivain demandait toujours plusieurs jeux successifs – méthode de travail qui explique, après « la censure » des Hetzel, les variantes qui existent toujours entre les manuscrits et les versions publiées, mais aussi entre la publication préoriginale, l’édition petite in-18 et l’édition illustrée gr. in-8° des Voyages extraordinaires.
Le manuscrit ici présenté offre cette particularité que l’auteur, emporté par la fougue de son écriture, s’arrête à un certain moment pour continuer seulement de noter les mots de repère des chapitres suivants. Comme aucun autre manuscrit n’est connu à ce stade de travail, il est probable que, au lieu de terminer ce brouillon, Jules Verne a préféré continuer directement par la rédaction de la mise au net.
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