bulletin de la Société Jules Verne


185 Avril 2014

[ TABLE DES MATIÈRES

Page 1 LA RÉDACTION :
Éditorial
Page 2 Henri d’IDEVILLE :
Etrait de Vieilles maisons et vieux souvenirs (1878)
Page 8 Jules VERNE :
Victor Massé (1857)
Page 15 LA RÉDACTION :
Paul Verne compositeur
Page 16 Jules LORIN et Aristide HIGNARD :
Au bord du lac (1857)
Page 20 Volker DEHS :
Les compositeurs dans les fiches de travail
Page 21 Volker DEHS :
Témoignages et documents. Verne et Offenbach
Page 28 Philippe BURGAUD :
Le roman L’Étoile du Sud au théâtre
Page 40 Volker DEHS :
L’opéra au conseil municipal d’Amiens à travers les interventions de Jules Verne
Page 52 La rédaction :
Repères bibliographiques 2013
Page 77
Table des illustrations
Page 79
La gazette du vieux Paris n°1 (15 avril 1900) et n°2 (1 mai 1900)

[ Éditorial

Imaginons un peu que Jules Verne ait obtenu la direction de l’Opéra-Comique, qu’il avait sollicitée le 16 décembre 1862 auprès de son ancien patron Émile Perrin et du ministère de l’Intérieur. Cinq semaines en ballon, alors en voie d’être imprimé, aurait-il eu des suites ? Les Voyages extraordinaires auraient-ils jamais connu l’essor qui leur était destiné ?... Est-ce que l’ancien collaborateur d’Aristide Hignard aurait mis des accents différents dans le répertoire de la seconde scène musicale de France et de son exploitation par rapport aux directeurs en titre ? Heureusement, ces questions ne se posent pas puisque ni le ministère ni Perrin n’ont daigné accorder cette fonction au jeune boursier. Les relations entre Jules Verne et le monde des compositeurs n’ont pas pour autant cessé et le numéro présent essaie d’en retracer quelques aspects sans prétendre à l’exhaustivité.

C’est par un choix de documents peu ou pas connus que nous rappelons l’entourage de Jules Verne au cercle d’Adrien Talexy et aux Onze-sans-femmes, ses rapports (pas toujours sans nuage) avec Jacques Offenbach et les réminiscences ultimes dans les discussions au Conseil municipal de la ville d’Amiens. L’orthographe de ces textes a été entièrement respectée. Nous n’oublions pas son frère Paul, en détaillant ses compositions publiées. Si l’ami de longue date Aristide Hignard n’apparaît qu’entre les lignes sans recevoir l’attention qu’il mérite à bon droit dans ce contexte, c’est que nous lui réserverons une place plus importante dans un prochain numéro du BSJV.

Jules Verne lui-même est présent par un article sur Victor Massé et quelques-unes de ses notes inédites, tandis que Philippe Burgaud révèle l’existence d’une pièce à grand spectacle d’après le roman L’Étoile du Sud, dont le texte, les couplets et la musique – adaptés au goût de son public très particulier – ont égayé les spectateurs viennois des années 1890.

Les repères bibliographiques annuels, répertoriant les publications de et sur Jules Verne parues jusqu’en 2013, ainsi que deux fac-similés peu courants de la Gazette du vieux Paris de 1900, reprenant des extraits de la Géographie de la France et de ses colonies, complètent ce numéro.
La rédaction.

[ Le Roman L’Étoile du Sud Au théâtre


Par Philippe Burgaud


Introduction

Il est désormais bien connu qu’un certain nombre de romans de Jules Verne ont été adaptés pour la scène dès leur parution ou en tout cas du vivant de l’auteur, certains devenant de mémorables succès. Des pièces de théâtre comme Le Tour du monde en 80 jours et Michel Strogoff, s’ils ne firent pas le tour du monde, conquirent de nombreuses scènes européennes et américaines1.

En Autriche, depuis 1875, Le Tour du monde en 80 jours rencontre régulièrement un vif succès avec une musique d’accompagnement de Franz von Suppé (1819-1895) qui remplace celle de Debillemont composée pour la création de la pièce au théâtre de la Porte Saint-Martin2. Et une pièce de théâtre tirée du roman Michel Strogoff est jouée à Vienne dès 18773 alors que la version de Verne et d’Ennery ne sera montée à Paris qu’en 1880. Très curieusement ce spectacle qui ne doit donc rien à nos deux comparses et qui sera joué du 3 mai 1877 au 21 juin 1877 au Carl-Theater est une adaptation pour la scène de Ferenc Csepreghy (1842-1880)4, un Hongrois installé à Vienne. La musique, comme pour Le Tour du Monde, est composée par Franz von Suppé.

Or, l’année 1893 à Vienne va être particulièrement riche en spectacles verniens puisqu’il y aura au Wiener Volkstheater plus de 100 représentations du Tour du Monde – entre le 17 mai 1893 et le 25 septembre 1893, ce qui porte le nombre de représentations de cette adaptation viennoise au nombre de 305 !5 – et que le Carl-Theater a à nouveau produit, pour un petit mois seulement, un Michel Strogoff. Et dans la foulée, pour terminer l’année 1893 en beauté, le Carl-Theater, encore lui, va présenter un tout nouveau spectacle, Der Südstern, tiré du roman L’Étoile du Sud. C'est par un entrefilet dans la revue Le Ménestrel6 qui signale la prochaine sortie de L’Étoile du Sud, un « vaudeville-opérette de M. Krägel7 » au Carl-Theater de Vienne, que nous avons été mis sur la piste de cette adaptation théâtrale apparemment ignorée d’Hetzel et surtout de Jules Verne, et donc clairement réalisée sans son accord.


Le Carl-Theater

Ce théâtre privé, le Carl-Theater, a été fondé en 1847. Dans les années 1880, c’est un théâtre viennois réputé pour la production d’opérettes françaises jouées par des troupes venant de France ou adaptées pour un public autrichien. Il y aura d’ailleurs des réactions à cette omniprésence des opérettes venues de France dans la capitale autrichienne avec la publication en 1885 d’une critique déplorant le manque de productions typiquement autrichiennes8. Mais avec cette Étoile du Sud il nous semble y avoir un exemple d’adaptation « à l’autrichienne » d’après ce que nous pouvons lire de cette pièce dans la presse autrichienne de l’époque.

A partir de 1891, la direction du Carl-Theater est confiée à Carl Blasel. Acteur comique renommé, il a connu ses plus grands succès aux côtés des acteurs Knaack9 et Matras10 dans ce même théâtre, formant un trio célèbre vers la fin des années 1860. Ce comédien va continuer, comme directeur de théâtre, à réjouir le public viennois en mettant en scène des comédies et à tenter de sortir les spectateurs de la morosité ambiante11. Durant l’été 1893 des travaux de rénovation sont entrepris et l’électricité est installée. Mais le nouveau directeur n’a pas beaucoup de chance. Le début de la saison 93/94 est catastrophique. Comme l’écrit avec force détails le journal Der Humorist12 :

[...] avec le même insuccès que lors de l’ouverture de la saison 92/93, commence aussi la nouvelle saison 1893/94 du Carltheater. L'année dernière c'était avec « la tragédie du comique », cette fois-ci c’est avec « le voyage de noces » que la direction du théâtre a préparé un four grandiose, beaucoup d’irritations et de dégoûts pour les artistes, et pour le public une soirée assommante et pénible... Le Carltheater semble avoir une poisse personnelle avec ces comédies d'ouverture qui depuis l’ère Blasel tombent à chaque fois.

Le spectacle sera joué moins d’une semaine ! Il semble que les choses s’arrangent par la suite. La saison va se poursuivre avec diverses comédies, mais surtout une pièce à grand spectacle Das Goldland13, comportant de nombreux ballets, qui sera jouée de la mi-octobre à fin novembre 1893. Pour cela « le directeur Blasel a spécialement engagé un nouveau corps de ballet qui se produira dans l’opérette Das Goldland et dans la pièce à grand spectacle Der Südstern »14. Il y aura ensuite une succession d’opérettes jouées par une troupe d’acteurs et de chanteurs français, l’Association française de l'Opérette, avec quelques vedettes comme la Montbazon15 dans La Belle Hélène, ou Mme Mealy16 dans Miss Helyett.

Le Deutsche Kunst-und Musik-Zeitung17 stigmatise d’ailleurs le penchant du directeur pour les opérettes étrangères mais se félicite aussi de la venue de vedettes étrangères comme la Montbazon qui rivalisent largement avec les chanteuses autrichiennes.

Ces productions auront un tel succès qu’il y aura une prolongation d’une dizaine de jours jusqu’au 21 décembre 1893, le 22 décembre étant réservé à la répétition générale de Der Südstern. Pour ce dernier spectacle les répétitions ont commencé début décembre.

C’est donc dans ce contexte que va être monté ce nouveau spectacle, Der Südstern, cette Étoile du Sud, présentée comme ayant déjà rencontré des succès ailleurs en Europe (sic)18.

L'intrigue

En voici l’intrigue de cette pièce à grand spectacle en 3 actes et 8 tableaux, telle que nous pouvons la reconstituer d’après les numéros du 24 décembre 1893 du Deutsches Volksblatt et du journal Die Presse :

Un pauvre ingénieur est follement amoureux de la fille d’un riche propriétaire de mines de diamants. Ce dernier ne donnera sa fille qu’à celui qui lui apportera un diamant de 200 carats. Le malheureux s’échine en vain dans une mine qu’il a acquise, puis décide de tenter la fabrication d’un diamant artificiel. Il monte un laboratoire de chimie et s’épuise dans des expériences sans succès. Le serviteur de l’ingénieur trouve dans la mine de son maître un gros diamant et le dissimule dans le four. L’ingénieur pense avoir résolu le problème de la synthèse du diamant, mais cela lui occasionne de gros ennuis avec les propriétaires des mines, qui craignent alors un effondrement des cours. Il est sauvé quand son serviteur avoue avoir trouvé le diamant. Mais un Chinois, qui doit pourtant la vie à l’ingénieur, le vole. Tout le monde à sa poursuite, il s’enfuit au sein de la forêt sud-africaine pour arriver à une ville de nains (!) où il sera alors rattrapé. Sur ce, le serviteur qui aime une authentique cuisinière viennoise va pouvoir l’épouser comme récompense pour avoir trouvé le diamant de même que son maître va pouvoir épouser la fille du propriétaire à qui il remettra l’Étoile du Sud.
       Quelques premières remarques au passage sur ce spectacle :

Le spectacle monté de façon fastueuse présente de nombreux ballets arrangés de manière remarquable par le maître de ballets Thieme. Au cœur de la troupe la jeune danseuse Mlle Quaironi se distingue par de brillantes parties de solo19.

De son côté, le Neues Wiener Journal du 24 décembre 1893, tout en rappelant que les romans de Jules Verne sont une source inépuisable pour des spectacles attrayants et pleins de fantaisie, rapporte ce qui suit :

Jules Verne a fourni l’idée, Wulff et Tegeler ont réalisé la scénographie, Benjamin Schier a fait une très libre adaptation en viennois, Wolf et Wagner ont composé la musique, Regel les ballets et Thieme la chorégraphie20.

Alors revenons tout d’abord sur cette curieuse histoire de nains, qui rencontre un vif succès. Comme l’écrit Die Presse :

Spécialement plaisant est le tableau de « la ville des nains » pour lequel les découvertes de Stanley ont moins à voir que les aventures de Gulliver chez les Lilliputiens. Un minuscule lieutenant qui dirige une troupe de nains, qui fait la cour à une naine, et qui a un grand rôle parlé, est joué si remarquablement par une Hélène Beer de cinq ans que le public renouvela des applaudissements nourris21...

Pour poursuivre la lecture, commander

Le Carl-Theater à Vienne, Praterstrasse. Carte postale ancienne. (Coll: Burgaud) 


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184 Décembre 2013

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186 Avril 2014

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