bulletin de la Société Jules Verne
N°183 Août 2013
[ TABLE DES MATIÈRES
Page 1 Jean-Pierre ALBESSARD :
Le mot du président
Page 1 La rédaction :
Éditorial
Page 2 La rédaction :
Actualités
Page 4 Volker DEHS :
La bi(bli)ographie de Cinq semaines en ballon
Page 20 Jules VERNE :
Les manuscrits de Cinq semaines en ballon
Page 28 Jules VERNE :
Trois brouillons de prières d’insérer
Page 30 Volker DEHS :
Cinq semaines en ballon devant la critique de 1863
Page 40 NADAR :
M. Jules Verne (1866)
Page 43 Robert SOUBRET :
Le Cinq semaines en ballon de madame Hetzel
Page 50 Stefan SCHMIDT :
César Cascabel à Lyon
Page 53 Gérard MEUNIER :
Les variantes de Prodgieuse découverte
Page 59 Piero GONDOLO della RIVA :
Les cartonnages passepartout de la Tipografia Editrice Lombarda de Milan
Page 62 Lionel PHILIPPS :
Au-delà de l’empreinte rétinienne: Les Frères Kip comme reformulation de « Claire Lenoir »
Page 74 Jules VERNE :
Une lettre à propos de Turpin
Page 77
Table des illustrations
Page 80
Quatre portraits de Jules Verne (McClure’s Magazine, 1893)
Page 1 Jean-Pierre ALBESSARD :
Le mot du président
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Éditorial
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La bi(bli)ographie de Cinq semaines en ballon
Page 20 Jules VERNE :
Les manuscrits de Cinq semaines en ballon
Page 28 Jules VERNE :
Trois brouillons de prières d’insérer
Page 30 Volker DEHS :
Cinq semaines en ballon devant la critique de 1863
Page 40 NADAR :
M. Jules Verne (1866)
Page 43 Robert SOUBRET :
Le Cinq semaines en ballon de madame Hetzel
Page 50 Stefan SCHMIDT :
César Cascabel à Lyon
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Les variantes de Prodgieuse découverte
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Les cartonnages passepartout de la Tipografia Editrice Lombarda de Milan
Page 62 Lionel PHILIPPS :
Au-delà de l’empreinte rétinienne: Les Frères Kip comme reformulation de « Claire Lenoir »
Page 74 Jules VERNE :
Une lettre à propos de Turpin
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Table des illustrations
Page 80
Quatre portraits de Jules Verne (McClure’s Magazine, 1893)
[ Éditorial
L'orsque Cinq semaines en ballon paraît en janvier 1863, cette publication marque non seulement une étape importante dans la vie de son auteur (et de son éditeur), mais elle inaugure aussi un nouveau genre que les contemporains appellent, faute de mieux, le « roman scientifique ». Nous célébrons le 150e anniversaire du premier Voyage extraordinaire: par un dossier réparti en deux numéros consécutifs du BSJV, réservant le premier aux conditions directes de la publication et le second à divers aspects de la réception du roman.
Ce numéro est enrichi par des compléments à des articles déjà parus : Gérard Meunier nous fournit les variantes
de la Prodigieuse découverte par X. Nagrien (n° 179) ; Stefan Schmidt nous renseigne sur les représentations
de César Cascabel au cirque Rancy à Lyon (n° 180) ; Piero Gondolo della Riva poursuit ses recherches sur les éditions
italiennes des Voyages(n°181); Lionel Philipps revient en détail sur les rapports entre Les Frères Kip
et une nouvelle d’Auguste Villiers de l’Isle-Adam (n° 176) et, grâce à Philippe Amaudru, nous ajoutons une
lettre au dossier Jules Verne et Turpin (n° 129).
La rédaction.
[ Cinq semaines en ballon devant la critique en 1863
Par Volker DEHS
Le premier article identifié jusqu’à présent qui se consacre à Cinq semaines en ballon paraît, le 1er février 1863, sur le verso de la couverture de la Revue des Deux Mondes. Bien que le texte soit signé L. M., il s’agit de l’adaptation d’une prière d’insérer lancée par Hetzel ainsi qu’il résulte de la comparaison avec l’article paru un mois plus tard dans La Presse (voir supra).
CINQ SEMAINES EN BALLON ! – l’Afrique traversée par trois Anglais intrépides ! Les grandes découvertes des plus célèbres voyageurs constatées et résumées dans un rapide et charmant volume de science et d’histoire, – de l’imagination et de la vérité, – voilà ce qui distingue le livre de M. Jules Vernes [sic]. Son livre restera comme le plus curieux et le plus utile des voyages imaginaires, comme une de ces rares œuvres de l’esprit qui méritent la fortune des Robinson et des Gulliver, et qui ont sur eux l’avantage de ne pas sortir un instant de la réalité et de s’appuyer jusque dans la fantaisie et dans l’invention sur les faits positifs et sur la science irrécusable. Nous signalons ce livre aux enfants et aux vieillards, aux femmes et aux oisifs, aux savants et ceux qui ne le sont pas. Il est destiné à faire sensation et à devenir un classique en son genre, comme l’Histoire d’une bouchée de pain, de M. Jean Mée [sic], de l’excellente collection publiée par M. Hetzel.
Un deuxième texte – apparemment une sorte de cadeau d’anniversaire – paraît le 8 février 1863 dans Le Figaro1, mais comme il fut reproduit trois fois de suite, il s’agit encore une fois d’une annonce camouflée d’Hetzel :
Cinq semaines en ballon
Sous ce titre : Cinq semaines en ballon, nous avons annoncé un livre de M. Jules Verne, qui intriguera le monde savant comme le firent jadis les découvertes dans la lune attribuées à Herschell2. – Le voyage du docteur Fergusson est-il ou n’est-il pas une réalité ? Tout ce qu’on en peut dire, c’est qu’il est charmant comme un roman et instruit comme un livre de science. Jamais on n’avait mieux résumé toutes les découvertes sérieuses des voyageurs les plus célèbres. – Le récit est palpitant, saisissant ; il est gai et touchant. Tous les âges y trouveront leur compte. Quel beau livre illustré cela ferait dans la collection Hetzel ! C’est si rare un livre qu’on peut recommander à tout le monde.
Suit, le 12 février, le Journal des débats politiques et littéraires qui signale le livre, à la même page 2, deux fois : d’abord parmi les « nouvelles », ensuite dans les comptes rendus tenus par F. Camus. Encore une fois, on tombe sur des fragments de phrases et des formules bien connus :
Cinq semaines en ballon. Voyage de découvertes en Afrique, par trois Anglais. – un vol. in-18.
L’excellente collection de M. Hetzel s’enrichit aujourd’hui d’un aimable livre auquel nous oserons prédire un succès analogue, quoique dans un genre différent, à celui de l’Histoire d’une bouchée de pain, de M. Jean Macé. Le même public de grands et petits enfans [sic] fera en effet le même accueil au livre de M. Jules Verne, Cinq semaines en ballon. L’Afrique tout entière traversée par trois Anglais intrépides, savans [sic] et spirituels, toutes les grandes découvertes constatées par les plus célèbres voyageurs, résumées avec vérité, avec clarté, talent et intérêt, tel est le sujet de ce nouveau voyage imaginaire. Ce voyage en l’air se distingue de tous ceux qui l’ont précédé en ce point, qu’hormis la donnée première, qui est d’invention, malgré la singulière vraisemblance dont l’auteur a su l’entourer, tout repose sur des données si exactes, dans ce livre heureux, que la science n’a rien à y reprendre ; Cinq semaines en ballon auront bientôt leur place à côté des Robinson, des Gulliver. L’auteur était inconnu ; c’est son début ; c’est peut-être pour cela qu’il a réussi à faire un livre vraiment nouveau, et que, sous l’apparence d’une piquante mystification, il a réussi à faire un livre très amusant, très instructif, très sage, dont on peut recommander la lecture à tout le monde : au savant et à celui qui ne l’est pas, à l’homme et à l’enfant, à la mère et à la jeune fille. Quel beau livre illustré son éditeur eût pu faire de ce curieux ouvrage ! M. Hetzel ne sera-t-il pas un jour de notre avis ?
Ensuite, Henri Lavoix (1820-1892), journaliste circonstanciel, par ailleurs spécialiste des monnaies arabes et, à la fin de sa vie, conservateur en chef du Cabinet des médailles, consacre un article au roman dans Le Moniteur universel du 18 février3 :
VARIÉTÉS. REVUE LITTÉRAIRE
Grâce à cette foule de voyageurs qui se sont jetés depuis des siècles et de tous les côtés à la découverte des divers continents, le monde nous est connu. Il est peu de contrées qui, pressées, attaquées de la sorte avec cette fougue avec laquelle l’homme se précipite vers l’inconnu, aient gardé leurs secrets. L’Afrique seule résiste encore dans quelques-uns de ces problèmes et se cache pour ainsi dire dans ses voiles mystérieux. Pays étrange ! [...]4
Le livre de M. Jules Verne, Cinq semaines en ballon, que nous venons de lire, doit prendre rang parmi ces utiles ouvrages. Depuis le succès d’une Bouchée de pain, de M. Jean Macé, la science semble se mettre à la portée de tous. Sous une forme plus ou moins ingénieuse, plus ou moins heureuse, elle se fait vulgarisatrice. Si je ne craignais de reproduire une formule déjà bien vieille, je dirais qu’elle instruit en amusant. Comme vous le pensez, le ballon de M. Jules Verne est un moyen de locomotion imaginaire, et ce docteur Fergusson, dont M. Verne a recueilli précieusement les notes, ce voyageur aérien, c’est tout le monde ou du moins le monde des explorateurs de l’Afrique. Mais dans son voyage à vol d’oi- seau au-dessus du continent africain, l’illustre docteur fait de nombreuses descentes partout où ses lunettes d’approche lui indiquent un point intéressant. Les choses s’en vont plus que vite ainsi décrites, et, pour être résumée, l’étude bien faite et puisée aux bonnes sources n’en est pas moins curieuse. Pourtant, je regrette que le docteur et ses compagnons Dick et Joë, deux originaux que je vous recommande, soient si pressés de dégonfler leur aérostat. Ils ont vu, certes, bien des choses mais ils ont aussi laissé derrière eux bien des observations bonnes à relever. Cette réserve faite, je n’ai plus qu’à louer les Cinq semaines en ballon. Le livre est amusant et écrit avec esprit.
La Presse se joint aux éloges par un article signé Emile Cantrel, paru le 3 mars 1862, et qui contient les répétitions habituelles :
Livres
CINQ SEMAINES EN BALLON ! – pas un jour de moins, – l’Afrique traversée par trois Anglais intrépides, toutes les grandes découvertes des plus célèbres voyageurs constatées et résumées dans le rapide et charmant volume.
De la science et de l’histoire, – de l’imagination et de la vérité, – voilà ce qui distingue le livre de M. Jules Vernes [sic]. Ce livre restera comme le plus curieux et le plus utile des voyages imaginaires, comme un de ces rares livres qui méritent la fortune des Robinson et des Gulliver, et qui ont sur eux l’avantage de ne pas sortir un instant de la réalité, de s’ap- puyer, dans la fantaisie et dans l’invention, sur les faits, sur la science positive et irrécusable. Nous signalons ce livre à tout le monde, aux savants et ceux qui ne le sont pas. Il est destiné à faire sensation et à devenir un classique en son genre, comme l’Histoire d’une bouchée de pain, de M. Jean Macé, de l’excellente collection Hetzel.
Plus d’un mois se passe et Jean Macé (1814-1894, illus. 16), l’ami de jeunesse d’Hetzel et futur fondateur de la Ligue de l’enseignement, cité déjà à plusieurs reprises, prend la plume pour consacrer au roman un long article paru dans L’Opinion nationale5 :.
Feuilleton de l’OPINION NATIONALE du 11 avril 1863
Cinq semaines en ballon / VOYAGE DE DÉCOUVERTES / EN AFRIQUE / Par trois Anglais. / Rédigé sur les Notes du docteur Fergusson / Par Jules VERNE / ––– / COLLECTION HETZEL*)
Je me souviens en ce moment d’une mystification qui a mis tous les esprits en [haleine]6, il y a bien longtemps, l’année m’échappe, c’était en plein règne de Louis-Philippe7. Il s’agissait d’un télescope phénoménal, décrit minutieusement dans tous ses détails, au moyen duquel sir John Herschel, un nom fascinateur, avait fait sur la lune des découvertes si merveilleuses que c’était à n’y pas croire, s’il avait été possible de résis- ter à un témoignage aussi catégorique. Le narrateur avait placé l’observatoire de sir John Herschel au cap de Bonne-Espérance8, pour plus de sécurité, et il y avait dans son récit une telle surabondance de détails intimes et de noms propres, une entente si parfaite de la langue scientifique, un accent de vérité si simple et si tranquille, que le public non pas celui des gobe-mouches s’il vous plaît, mais le public moqueur et rompu aux canards, des lettrés de Paris, avala d’un trait les forêts de sapins, les hommes ailés, les temples triangulaires et les pavots rouges que le grand astronome anglais avait aperçus dans la lune avec le télescope de son invention. Les hommes qui vont avoir cinquante ans retrouveront bien sûr, avec un effort, ce souvenir probablement enfoui, à l’heure qu’il est, dans leur mémoire.
Il m’est revenu de lui-même à la lecture du livre de M. Jules Verne. Depuis longtemps plaisanterie plus originale n’avait été plus sérieuse- ment conçue, plus froidement exécutée. Je ne sais si les savants ne chicaneront pas l’inventeur sur la construction de ce prodigieux ballon, qui monte et descend à volonté sans le plus léger sacrifice de lest ni de gaz, – et qui emporte, cinq semaines durant, son équipage par-dessus tout le continent africain. Il s’est bien trouvé un savant pour déclarer solennellement, à la tribune de notre ancienne Chambre des députés, le téléraphe électrique impraticable, quand il fonctionnait en Angleterre depuis quatre ans. Le ballon de M. Jules Verne n’a encore fonctionné que dans son livre ; mais il y fonctionne si bien, l’explication qu’on en donne est si satisfaisante et si claire, que l’imagination du lecteur s’embarque d’elle-même dans sa nacelle avec les trois héros du livre, et les suit sans aucun trouble à travers toutes les péripéties du drame, car c’en est un, qu’ils jouent entre ciel et terre. Ce voyage de haute fantaisie est conduit avec un sérieux scientifique qui donne presque le change à l’esprit, si bien qu’il paraît à la fin la chose la plus naturelle du monde. Il semble que si l’on rencontrait quelque part cet intrépide docteur Fergusson, ou son fidèle Joe, on n’en serait étonné qu’à demi.
Une chose ajoute puissamment à l’illusion ; et c’est, par parenthèse, le grand mérite du livre, c’est parce qu’il se distingue avantageusement de la mauvaise plaisanterie dont je parlais en commençant. Si le voyage et ses aventures appartiennent à la fantaisie, ils vous promènent dans des réalités dont l’intérêt est d’autant plus piquant qu’elles sont à peu près inconnues, même à beaucoup d’hommes qu’on peut appeler instruits. Il y a une très grande érudition cachée sous les badinages du récit ; tous les détails qu’on serait tenté de croire fabuleux ont été relevés avec une scrupuleuse exactitude sur les meilleures cartes, et empruntés aux témoignages les plus authentiques ; les noms cités à l’appui sont des noms véritables, et ce voyage de découvertes en Afrique, le lecteur le fait pour son compte, si les trois Anglais ne l’ont pas fait. M. Jules Verne a résumé de haut, je ne saurais trouver ici une meilleure expression, tous les voyages de ces intrépides explorateurs qui, au risque de leur vie, ont appris aux savants ce qu’ils savent aujourd’hui de l’Afrique, voyages trop réels ceux-là, car la plupart des voyageurs y ont péri. Il a pris la substance de leurs longs récits, les a complétés l’un par l’autre, les a reliés ensemble ; il a refait les grandes lignes des paysages décrits, pouce à pouce, dans ces expéditions laborieuses, arrêtées à chaque pas ; c’est en un mot une Afrique vue à vol d’oiseau qu’il nous a donnée, mais une Afrique telle qu’elle s’est réellement montrée à ceux qui sont allés là autrement qu’en ballon.
De ce mélange d’érudition patiente et de spirituelle imagination est sorti un des livres les plus amusants et les plus instructifs en même temps qui puissent charmer les loisirs d’une soirée d’hiver. On y retrouve tous les noms, et l’on y suit toutes les traces des héros qui se sont succédé sans interruption dans cet assaut par la civilisation européenne aux mystères de la barbarie africaine...
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