bulletin de la Société Jules Verne
N°208 Mai 2024
[ Table des Matières
Éditorial (p. 1) - J. demerliac : L’Assemblée générale de la Société Jules Verne, 25 mai 2024 – Paris (p. 2) - Différents auteurs : Nécrologie (Ghislain de Diesbach – Jean Delabroy – Frederick Paul Walter – Louis Le Garsmeur) (p. 5) - V. Dehs : Quelques notes préliminaires sur « La Tête de Mimer » (p. 11) - R. de Pont-Jest : La Tête de Mimer (p. 36) - A. marcetteau-Paul : Lecture comparée de « La Tête de Mimer » et du Voyage au centre de la Terre (p. 69) - D. Compère : Une variante exceptionnelle dans Voyage au centre de la Terre ... (p. 73) - C. Müller : Voyage au centre de la Terre : une aventure volcanique d’hier (p. 80) - L. Sudret : Les Origines du monde – L’invention de la nature au xixe siècle. (p. 88) - P. Gondolo della Riva : Jules Verne et les boîtes d’allumettes (p. 92) - H. Levanneur : Pour le meilleur ou pour le pire (p. 94) - V. Dehs : Repères bibliographiques 2023-2024 (p. 96) - Table des illustrations (p. 118)
[ Éditorial
Dès qu’un retard s’installe dans la publication régulière d’une revue, il est difficile de le rattraper. Nos lecteurs en ont malheureusement fait l’expérience depuis quelques années déjà et nous tenons à nous excuser auprès d’eux tout en leur assurant que tous ceux qui se sont acquittés de leur cotisation recevront bien leurs deux numéros annuels. Voilà ce qui explique la datation quelque peu anachronique de « mai » et de « novembre 2024 », que nous maintenons sur la couverture, alors que la date de parution véritable de ces deux numéros sera de nouveau considérablement décalée.
Le comité de rédaction du BSJV a connu quelques évolutions. Aussi, l’état présenté dans l’éditorial du numéro précédent et celui qui figure dans le compte rendu de l’assemblée générale de mai 2024, reproduit dans ce numéro, n’est déjà plus d’actualité : notre collègue Jean-Louis Mongin s’est vu contraint de quitter la rédaction, laissant une lacune douloureuse. Nous le remercions de sa collaboration fidèle et enrichissante pendant huit années fructueuses et espérons qu’il continuera à nous confier ses contributions toujours bien documentées. Aussi, la direction générale du bulletin de l’année 2024 est-elle assurée par Laurence Sudret alors que la coordination du contenu des deux numéros – du présent et du suivant – est réalisée par intérim par Volker Dehs.
Le conseil d’administration de notre association a confié la direction du bulletin, à partir de 2025, à Agnès Marcetteau-Paul,
membre de la rédaction depuis 2023, que nous remercions d’avoir consenti à prendre la relève. Nous espérons que cette
réorganisation nous permettra de rattraper le retard des Bulletins.
L’attrait du BSJV dépendra toujours de vos contributions et nous vous encourageons à bien vouloir nous soumettre
vos propositions de textes à l’adresse électronique de notre association : sjulesverne@yahoo.fr.
Le présent numéro se consacre en partie au Voyage au centre de la Terre et complète le dossier René de Pont-Jest du n° 135 (2000)
grâce à la publication de la nouvelle « La Tête de Mimer » qui avait donné lieu au procès de plagiat intenté à Jules Verne en 1877.
Le deuxième numéro de 2024, actuellement en préparation, proposera des correspondances inédites de notre auteur.
La rédaction
[ VOYAGE AU CENTRE DE LA TERRE : UNE AVENTURE VOLCANIQUE D’HIER ET D’AUJOURD’HUI
par Par Carol Müller
Le navigateur qui arriverait à Reykjavik par la mer contournerait immanquablement la péninsule du Snaeffelsness et y apercevrait selon la brume et l’état du ciel un dôme large, arrondi et blanc hérissé de deux pics. Ce que Charles Edmond(1) décrit comme une mamelle n’est autre que l’étonnant volcan du Snaefellsjökull, également connu à présent en Islande comme le volcan de Jules Verne. Quel charme a donc opéré pour qu’en quelques décennies un obscur volcan d’Islande au nom difficile devienne l’argument marketing de tour-opérateurs proposant aux touristes venus des quatre coins du monde, le mirage d’une aventure vernienne. L’auteur du Voyage au centre de la Terre serait bien étonné de voir que l’entrée vers les entrailles terrestres ne nécessite plus une longue et périlleuse ascension vers les pics mais tout simplement un arrêt en bord de route pour entrer en toute sécurité dans les grottes de Vatnshellir. Point n’est donc besoin de prendre des « leçons d’abîme » comme Axel, le neveu du Professeur Lidenbrock, l’un des deux héros de Voyage au centre de la Terre pour se lancer dans l’aventure !
Pourquoi Jules Verne qui, « à son grand regret » comme il l’écrira dans une lettre à Georges Kohn(2), n’a jamais été en Islande, a-t-il envoyé ses héros précisément sur le sommet de ce volcan ? De nombreux critiques ont pointé la manière dont Jules Verne fait usage des volcans dans ses romans. D’un point de vue narratif, ces réservoirs à coup de théâtre pyrotechnique lui permettent de dénouer une intrigue, ou d’en accélérer le cours, dans de saisissants raccourcis où se manifestent toute la vélocité et l’humour de son écriture. Les volcans sont, dans son imaginaire, aussi bien symbole d’énergie vitale que lieu de mort – autant de termes nécessaires à la quête.
Une toponyme, embrayeur d’imaginaire
Quoique certains aient eu à cœur de souligner la sonorité étrange et amusante de ce « Snaefellsjökull », il semble qu’en l’occurrence ce soit bien le Jules Verne géographe qui ait choisi cette destination bien réelle. En islandais, Snaefellsjökull est un toponyme prosaïque au plus près de la réalité du site. Il signifie tout simplement « Glacier- Montagne-Neige ». Sur certaines cartes traduites, on trouve la dénomination de Glacier du Snaefells, ce qui permet à Jules Verne de le recréer en Sneffels.
Peu de contrées auront autant attiré l’écrivain que ce Nord, somme toute encore bien lointain au xixe siècle. « J’étais attiré vers les régions hyperboréennes comme l’aiguille aimantée vers le nord, sans savoir pourquoi » dira-t-il dans Joyeuses misères de trois voyageurs en Scandinavie(3). « Aller en Suède, courir la Norvège, arpenter le Danemark ? Est-ce que ces pays existent ? Est-ce qu’on ne les a pas inventés pour l’équilibre européen ? Ne sont-ils pas imaginaires comme les latitudes et les méridiens ? » L’écrivain en avait une idée assez précise pour les avoir parcourus lors d’un voyage de quelque cinq semaines. Mais bien sûr la cartographie de ce bout du monde obscur et effrayant favorisait la dérive imaginaire et offrait un res- sort efficace à la fiction. Axel et le professeur Lidenbrock font donc escale à Copenhague pour visiter le clocher en spirale de l’église Saint-Sauveur (Vor frelsers kirke), dont l’ascension vertigineuse offre une répétition générale pour approcher le précipice ultime. Passer du monde connu à l’énigme du monde inconnu suppose d’en accepter le risque et d’en décrypter le code. À la manière d’une chasse au trésor, Voyage au centre de la Terre commence par la découverte d’un grimoire : le pseudo-manuscrit runique de l’Islandais Arne Saknussemm sur le déchiffrement duquel l’orageux professeur Lidenbrock achoppe. Les runes ont fasciné le xixe siècle qui y voyait, sinon l’écriture d’Adam, du moins une énigme immémoriale et magique. C’est donc à la faveur d’une illumination que le nom du Snaeffelsjökull perce les brumes de l’Islande. Il surgit sous la plume de Jules Verne tout comme, quelques années auparavant, il a émer- gé de ces « tristes contrées » pour accrocher la lumière des salons parisiens. Car ce volcan mystérieux si cher au cœur des Islandais, et réputé pour abriter le repos du Dieu Bardur, a une histoire(4).
Le Snaefellsjökull, butin d’expédition
En 1752, en écho au mouvement des Lumières, deux naturalistes islandais, Eggert Olafsson et Bjarni Palsson, sont commissionnés par l’Académie des sciences de Copenhague pour conduire une mission scientifique en Islande. Dominant la traditionnelle « peur des montagnes », jusqu’alors sacrées et dévolues aux dieux des Sagas, ils mènent une exploration systématique du pays et publient un compte-rendu illustré, Voyage en Islande fait par ordre de S. M. danoise ; l’époque était friande de cette prose.
L’ouvrage connaît un grand retentissement. Il est traduit dans toutes les langues européennes et publié en français(5). Une mode de l’Islande enflamme les esprits. Dans ces pages, on découvre une petite aquarelle de Jon Svefneyingur Olafsson qui représente pour la première fois le Snaefellsjökull. C’est avec elle que commence l’histoire de l’art islandais. Ce volcan incarnera désormais...
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