bulletin de la Société Jules Verne


205 Novembre 2022

[ Table des Matières


[ Éditorial - Le mot de la présidente

La dernière Assemblée générale s’est tenue le samedi 15 octobre 2022 à Paris. Elle fera d’ailleurs l’objet d’un rapide compte rendu publié plus loin.

Le Conseil d’administration qui a suivi a élu un nouveau bu- reau et m’a élue Présidente de la Société Jules Verne pour succéder à Jean-Pierre Albessard, récemment disparu. Ce n’est pas seulement un honneur pour moi, c’est aussi (peut-être plus encore) une source de très grande émotion.

Je me suis rapprochée de la Société Jules Verne au début des années 2000 sur les conseils de Jean Chesneaux. J’ai rencontré ensuite Olivier Dumas en 2005 et dès cette première rencontre j’avais appris à l’apprécier grandement. J’ai eu l’occasion d’en parler dans un texte précédent qui lui rendait hommage. J’ai été accueil- lie en 2007 au sein du conseil d’administration. Les personnes que j’ai pu y rencontrer ont marqué ma vie vernienne, et je pense aujourd’hui à ceux qui nous ont quittés, et tout particulièrement Eric Weissenberg, Olivier Dumas et Jean-Pierre Albessard.

Jean-Pierre était un homme peu banal et sa haute taille, son port haut (et non pas hautain) était à l’image de sa personnalité. Homme d’humour et d’esprit, il était d’une grande et vaste culture, intéressé et curieux dans tous les domaines. Son épouse Anne-Marie me rappelait dernièrement son intérêt pour Jules Verne bien sûr, mais également pour les pôles, l’Égypte... Et ce n’était pas de sa part envie de paraître mais bien un besoin et une envie d’en découvrir toujours plus qui le poussait. À propos de l’Égypte, je me souviens d’une anecdote : alors qu’une grande exposition avait été organisée à Paris, nous comparions nos impressions de cette visite. Il avait été très déçu, lui qui se souvenait de son émotion lors de sa visite du musée du Caire ; et il pouvait dire dans le détail pourquoi telle ou telle chose lui avait déplu. Sa culture vernienne était à l’image de tout cela. Il n’était pas seulement collectionneur, il avait une parfaite connaissance des textes et il s’intéressait à tout ce qui touchait à la vie de Verne, comme le montrent les articles publiés dans notre bulletin.

En 2010, il avait été élu Vice-président de la Société Jules Verne. Il ne s’était pas proposé, il avait cédé aux demandes qui lui avaient été faites. Il en est de même lorsqu’en 2013, il avait été élu Président. Jean-Pierre ne courait ni après les honneurs ni après les titres mais il avait accepté de prendre la succession d’Olivier Dumas à la demande des membres du Conseil. Il s’est alors investi pleinement dans son rôle et ses responsabilités, donnant son énergie sans compter.

Élue secrétaire générale à la suite d’Eric Weissenberg en 2011, cela a été pour moi un grand plaisir de travailler à ses côtés pendant toutes ces années. Et je dois dire que ce samedi 15 octobre, l’émotion m’étreignait lors des élections du conseil d’administration, le premier auquel il n’assistait pas, même à distance ou en amont, depuis tant d’années ; et pourtant il était bien là car il fait partie définitivement de la Société Jules Verne.

Après presque 15 ans au service de notre Société, je suis très fière de pouvoir poursuivre mon investissement. Enseignante en Lettres Modernes depuis 1993, j’ai consacré mon mémoire de maîtrise (comme on disait alors...) à Alfred de Musset, sous la direction de Michel Crouzet et je lui ai demandé d’accepter de diriger mes travaux de 3e cycle. Pour mon plus grand plaisir, il avait accepté, enchanté de parler un peu de Jules Verne ; notre romancier n’était vraiment pas en vogue dans les années 90 et peu d’étudiants s’intéressaient à lui... Néanmoins, loin d’être fascinée par les sciences et les machines, sujet de prédilection des recherches verniennes, j’étais surtout transportée par les magnifiques pages consacrées à la nature et à la découverte de l’environnement... C’est d’ailleurs à cette nature et aux liens qu’elle entretient avec l’action humaine dans les Voyages extraordinaires que j’ai consacré ma thèse, soutenue en 2000.

Depuis les années 2000, j’ai voyagé entre l’Île-de-France, Mayotte, Amiens (où j’ai été plusieurs années secrétaire générale puis présidente du Centre International Jules Verne), la Polynésie française, Angoulême et la Nouvelle-Calédonie, découvrant tou- jours un peu plus cette planète qui avait tant fait rêver Jules Verne avant moi. Lui qui avait raconté tant de voyages sur notre globe avait bien compris que c’est dans cette beauté et cette richesse qui nous entourent que se trouve l’extraordinaire de notre monde, ainsi qu’il voulut le montrer par ses célèbres « Voyages ».

Laurence Sudret

[ Hommage à Aristide Hignard


Introduction par Volker Dehs


Le bicentenaire de la naissance du compositeur Aristide Hignard en 1822, ami et collaborateur de Jules Verne, s’est passé sans avoir provoqué aucune manifestation notable à son égard, fait qui perpétue l’ignorance dont a souffert cet artiste, de son vivant même1. Est-ce juste et justifié par la médiocrité de ses compositions ? Certes, les mélodies de ses chansons nous paraissent de nos jours bien anodines, inoffensives, tout à fait appropriées aux salons bourgeois du XIXe, mais la partition du Colin-Maillard – la seule œuvre qui ait été récemment montée – comporte des parties très jolies et divertissantes. Un motif amusant de l’ensemble et repris dans l’ouverture paraît même avoir inspiré une œuvre tardive de Camille Saint-Saëns, le 2e mouvement (Allegro animato) de sa belle sonate de clarinette, op. 167 (1921). Mon rapprochement est peut-être fortuit, mais la ressemblance des deux mélodies est en tout cas frappante.

L’opéra Hamlet (1868), qui sort des sentiers battus contemporains et n’a plus rien du caractère léger des opéras-comiques, reste toujours à découvrir. En tout cas la critique de l’époque lui a una- nimement concédé une originalité particulière, même s’il ne réserve probablement pas les mêmes surprises que la résurrection impressionnante de l’opéra Hulda de César Franck (opéra de Fribourg, 2019). Seulement, pour s’exprimer sur la qualité de l’œuvre, il faut avoir l’occasion d’en faire l’expérience !

En attendant que cette situation, insatisfaisante à plus d’un égard, finisse par changer, nous proposons un petit dossier dont on verra qu’au moins deux composantes sont liées à Jules Verne. Nous commençons par un article de Paul Eudel, qui est, après celui de Thomas Maisonneuve3, le deuxième qui émane de l’entourage nantais de Jules Verne. Paul Eudel (1837-1911, [illus. 44]), natif du Crotoy, était commerçant, historien de l’art – notamment l’historiographe de la maison Drouot – et un collectionneur effréné qui avait fait la connaissance de Jules Verne à Chantenay en 1861, lors du mariage de Marie Verne avec l’armateur Léon Guillon4. Merci à Jean-Yves Paumier de nous avoir communiqué ce texte difficile à trouver et à Danielle Taitz d’avoir fait des recherches sur la rue Aristide-Hignard à Nantes (note 32).

S’ensuit un compte rendu des chansons de Jules, mises en musique par Aristide, signé J. Verne – non pas Jules, mais Jean. La publication de cet enregistrement date déjà de quelques années, mais il n’y a toujours pas d’alternative et le compte rendu n’a rien perdu de son actualité. Merci à son auteur de nous avoir autorisé de le reproduire dans une version revue.

La correspondance entre les deux amis n’a pas encore été retrouvée et nous ignorons quels furent leurs rapports après 1865 – date de leurs dernières collaborations officielles ; toujours est-il que les contacts ne doivent pas avoir complètement cessés, car en 1888 le romancier conseilla à son fils de s’adresser au compositeur, encore domicilié à Paris, pour se renseigner sur quelques questions d’harmonie. Aucune mention d’Hignard ne figure dans les notes du romancier – sauf dans la note nécrologique de ses proches qu’il rédigea à la fin de sa vie. Une lettre touchante qu’Hignard écrivit quelques années avant sa mort termine ce petit hommage sur un ton plutôt triste.

[ Aristide Hignard


par Paul Eudel


Nantes, ville de peintres, a vu naître au XIXe siècle, plusieurs compositeurs de musique distingués : Gaston Serpette, l’auteur de la Branche cassée, Frédéric Toulmouche8, son émule dans l’opérette, sont du nombre de ces derniers. On doit classer parmi les premiers, Bourgault-Ducoudray et Aristide Hignard.

J’ai beaucoup connu Bourgault, mon camarade du lycée de Nantes, très peu, Hignard, mon aîné d’une quinzaine d’années. Cependant il se rattache à l’un de mes plus vieux souvenirs d’enfance. Ma grand’mère habitait dans la rue Dobrée, la maison Garaud, dont les fenêtres plongeaient sur les ruines du Samtat, à l’endroit où s’élève maintenant l’église de Notre-Dame de Bon-Port. Elle avait beaucoup fréquenté la famille Hignard, dont elle voyait encore à cette époque deux des représentants : Aristide et [son frère] Alfred. L’une de mes joies d’enfant était de jouer avec la chaîne du premier où pendait une large cassolette d’or. Il me faisait rire et sauter sur ses genoux tout en imitant parfaitement la trompette. Autour de moi on parlait beaucoup de lui comme un futur prix de Rome. C’était un ravissement pour mes jeunes oreilles quand il se mettait au piano.

Né à Nantes le 20 Mai 1822, Aristide Hignard est digne de figurer dans cette galerie des célébrités nantaises. L’homme chez ui valait l’artiste. Je n’aurais, pour juger l’un et l’autre, qu’à interroger ceux de mes contemporains que les hasards de la vie mirent en relation avec lui.

Un portrait de lui que publia le Korrigan, en Avril 1888, le représente encore jeune d’aspect, à l’air triste et doux. Cette expression de physionomie, reflet de son âme aimante, il la garda jusqu’à la fin de sa vie, mais il s’était épaissi, l’âge lui avait donné un peu de la corpulence de Chassin11 avec lequel il n’avait d’ailleurs que ce trait de ressemblance.

Que d’heures grises ou noires il dut vivre à Paris depuis 1845, date de son entrée au Conservatoire, dans la classe de composition d’Halévy [illus. 45], jusqu’aux douloureuses étapes d’une vieillesse solitaire, d’une gêne ou d’une misère vaillamment supportées. Nul ne dira ce qu’il a souffert dans sa double existence d’homme abandonné, d’artiste incompris et méconnu. Lui-même, dans sa fierté bretonne, et dans sa résignation qui ignorait les révoltes, n’en laissait rien paraître. Mais il vivait dans un pauvre hôtel avec un mobilier d’emprunt. Ces simples mots en disent plus que bien des phrases.

Il avait eu pourtant des débuts brillants. De famille riche ou du moins aisée, instruit, aimable, admirablement doué pour la musique, il était de ceux qui peuvent prétendre au succès, à la gloire. Un second grand prix de Rome couronna ses études en 1850. Son premier Opéra Comique, Le Visionnaire (sur un livret imité de Schiller), joué à Nantes, fut suivi d’une série d’œuvrettes auxquelles le public parisien fit un assez bon accueil, au Théâtre lyrique, aux Bouffes et à l’Opéra Comique ; Les Compagnons de la Marjolaine, pimpante fantaisie dont Jules Verne avait écrit les paroles, mais où le futur auteur du Tour du Monde en 80 jours se retrouvait moins que dans Monsieur [de] Chimpanzé, bizarre odyssée d’un singe ; Colin Maillard ; le nouveau Pourceaugnac qui se souvenait de Molière ; L’Auberge des Ardennes qu’il ne faut pas confondre avec l’Auberge des Adrets. Les musiciens de l’orchestre en collaboration avec Léo Delibes, qui devint célèbre, et Erlanger, dont le nom est toujours bien porté au Théâtre. Disons enfin qu’il avait, dit-on, en portefeuille les Mules de Fleurette et la Mille et deuxième nuit, paroles de Jules Verne.

Toutes ces œuvres courtes, légères, très personnelles, élégantes de facture, donnent l’idée d’un Hignard...

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Aristide Hignard, vers 1860. Coll. Dehs.

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