bulletin de la Société Jules Verne


195 Novembre 2017

[ TABLE DES MATIÈRES

2 LA RÉDACTION :
Éditorial
3_4 LA RÉDACTION :
Actualités
4_6 LA RÉDACTION :
Errata
6_7 L. Sudret :
L’Assemblée générale 2017 à Amiens
7 B. Lacaze :
Cérémonie en l’honneur de Robert Taussat
Dossier Illustrateurs et illustrations
8_27 A. Lemonnier-Mercier :
Édouard Riou 1833-1900. Premier illustrateur des Voyages extraordinaires
8_32 A. Tarrieu :
Adrien Marie (1848-1891)
33_45 T. Goupil :
Quand l’univers delvalien rencontre l’univers vernien : Jules Verne et la peinture de Paul Delvaux :
46_62 L. Sudret et L. Metery :
L’Île mystérieuse – une adaptation peu connue
62_75 V. Dehs :
Impressions d’Écosse. Où il est question de photographies et quelques dessins de Léon Benett
Comptes rendus
75_79 A. Pérez :
Les illustrations Hetzel au découvert
80_83 V. Dehs :
Entre obsessions et contraintes. Aspects d’une collaboration déroutante
84_86 J.-C. Bollinger :
De la presse médicale. La santé de Jules Verne revisitée
87_90 V. Dehs :
Des Voyageurs bien servis
Articles divers
91_98 V. Dehs :
La Conquête scientifique et économique du globe par Gabriel Marcel (et Jules Verne)
99_110 J.-L. Mongin :
Vous avez dit Olszewicz ???
111_117 J. Crovisier :
La deuxième facette d’Alcide Pierdeux
118_120
Table des illustrations

[ Éditorial

Peu d’écrivains sont plus identifiés aux illustrations de leur production littéraire que Jules Verne bien que celles-ci n’en fassent pas essentiellement partie. Mais est-ce bien vrai ? Les illustrations des éditions Hetzel, qui sont même entrées dans l’édition de la Pléiade, ne sont-elles que des images destinées à attirer le jeune public ? Ne risquent-elles pas de reléguer le texte qu’elles illustrent au second rang en s’emparant de notre imagination ? Ou sont-elles – comme l’a développé Masataka Ishibashi – un élément déterminant de la production éditoriale qui a influé sur l’écriture même des Voyages extraordinaires ?

Ce qui est indubitable, c’est que les illustrations jouent un rôle considérable dans la réception de l’œuvre vernien et ont contribué à consolider sa mémoire alors que les illustrateurs, dont nous présentons quelques-uns, ont souvent sombré dans l’oubli. Le seul qui ait survécu dans la mémoire commune est Gustave Doré, mais s’il a travaillé pour Hetzel, il n’a jamais illustré un texte de Jules Verne1. Les deux aspects contradictoires de cette réception des illustrations – leur dimension inspiratrice autant que réductrice – se retrouvent par exemple chez le peintre Paul Delvaux qui, tout au long de sa vie, n’a cessé de faire varier les deux portraits bien connus du professeur Lidenbrock et de Palmyrin Rosette. Les adaptations cinématographiques – ici sous l’exemple d’un feuilleton de L’Île mystérieuse – présentent la même ambiguïté en s’émancipant de l’original tout en s’ornant du nom emblématique de son créateur.

Nous reviendrons certainement aux illustrateurs dans un prochain numéro car le sujet est riche aussi bien en potentialités qu’en controverses, comme l’a montré récemment le beau cahier de la Revue 30322.

Outre les comptes rendus – dont certains s’apparentent au thème du dossier – nos collaborateurs présentent quelques contemporains de Jules Verne : son quasi-homonyme Julien de Verne, Gabriel Marcel qui fut le principal rédacteur des œuvres historiques de l’écrivain, ainsi que Albert Badoureau, l’ingénieur des mines amiénois qui, dans Sans dessus dessous, se métamorphosa en Alcide Pierdeux.
La rédaction.

1 La raison en est double : Doré demanda des honoraires plus élevés que la plupart de ses confrères ; d’autre part, il était parti pour Londres alors que le projet des Voyages extraordinaires s’installait et y passait beaucoup de temps où des commandes plus lucratives le retenaient.

2 Agnès Marcetteau-Paul (dir.) : Images de Jules Verne. Revue 303 n° 134 (Nantes), novembre 2014, 200 p. Voir, pour les détails de son contenu BSJV n° 188, avril 2015, p. 74.

[ Vous avez dit Olszewicz ???


Par Jean-Louis Mongin


Entre 1875 et 1905, divers articles de presse accréditèrent la thèse que Jules Verne fut d’origine polonaise. Une légende tenace qui perdura longtemps après sa mort, malgré les dénégations de la famille et ses biographes. Qui fut vraiment ce prétendant nommé Olsziewicz ? Où il est question d’un Polonais qui prit à Paris le patronyme de Julien de Verne, d’un frère et d’un neveu opportuniste... bref tous les ingrédients d’un « canard » médiatique !

S’il est une légende qui fit couler beaucoup d’encre, c’est bien celle qui attribua à Jules Verne une origine judéo-polonaise: notre romancier, polonais, se serait nommé Olsziewicz avant de s’expatrier en France où il aurait francisé son nom. L’histoire vit le jour en 1875, fit parler d’elle jusqu’en 1905, année de la mort de Jules Verne, puis réapparut au gré des circonstances, en 1908, 1923, 1928, 1935, et même au-delà... Elle a bien entendu aiguisé la curiosité de pratiquement tous les biographes verniens, et en 2012, Volker Dehs donnait encore dans notre bulletin1 matière à réflexion sur ce sujet, et mettait en évidence l’ampleur de ce canard2, doué d’une rémanence remarquable et fondé en définitive sur une confusion entre Jules Verne et un émigré polonais, bien réel, qui prit le nom de Julien de Verne.

Mais, pour peu que l’on approfondisse les recherches sur cette « affaire », on remarque rapidement que le sujet est bien plus vaste, complexe, et retors qu’il n’y paraît. À cela, plusieurs raisons. D’abord, la quantité incroyable d’articles journalistiques qui lui sont consacrés se révèle extrêmement trompeuse, car au total peu de journaux proposèrent des informations de première main, d’innombrables périodiques ne faisant que reprendre, parfois en les arrangeant sciemment, des articles d’autres journaux, qui eux-mêmes s’inspiraient d’autres revues encore ! Le jeu consistant alors, pour le curieux, à tenter de déterminer le vrai du faux, et à identifier le journal qui fut vraiment à l’origine de telle ou telle information. En outre, rares furent les publications qui donnèrent explicitement leurs sources, d’ailleurs trop souvent invérifiables... D’autre part, au fil des investigations, on constate une énorme variabilité dans l’orthographe du patronyme polonais, et de 1849 à 1973, on dénombre dans la presse et la littérature une vingtaine de graphies distinctes pour désigner notre « usurpateur »3, de surcroit prénommé, selon les cas, Jules, Joël, Julien, Julian, Julius, Juljusz, Jusjusz... Enfin, on le verra plus loin, la légende prit naissance, non pas en France, mais en Pologne, ce qui ne simplifie guère les investigations pour la majorité des chercheurs qui ne maîtrise pas le polonais.


Néanmoins, malgré les contradictions et les incertitudes qui émaillent cette légende « olsziewiczienne », le grand nombre des documents aujourd’hui accessibles (journaux, correspondances, actes administratifs, études) méritent notre attention, car ils permettent, avec un peu de recul, de lever partiellement le voile sur l’identité et le parcours de Julien de Verne.

Dans la courte biographie qui suit, nous signalerons, autant que faire se peut, les informations fiables, ou pour le moins très probables. Quant aux autres allégations, elles seront tout de même mentionnées, à titre de florilège édifiant, en laissant au lecteur le soin de se forger sa propre opinion. D’autre part, pour simplifier la lecture, nous conviendrons de désigner simplement notre Polonais « Julien ».

D’après le Bulletin des lois de la République française4, que l’on ne peut guère mettre en doute et dont nous reparlerons plus loin, Julien Olszeiviec naquit le 29 janvier 1822 à Przesnys, en Pologne. Inconnue des atlas anciens et modernes sous ce nom, cette ville est probablement Przasnysz5, située à environ 110 kilomètres au nord de Varsovie.

D’autres sources journalistiques, sujettes à caution, localisent quant à elles la naissance à Plotsk (ou Plock selon les atlas). Cette ville, qui ne se trouve d’ailleurs qu’à une centaine de kilomètres de Przasnysz est, depuis au moins le xiiie siècle, le centre d’une importante communauté juive6, qui rayonnait dans toute la région. La proximité des deux villes permet en tout cas d’expliquer l’obédience judaïque attribuée quasi systématiquement à Julien.

Paris-Soir7, qui s’appuie sur les dires du journal polonais Nowa Reforma (La Nouvelle Réforme), nous apprend que Julien était le cadet d’une famille plus ou moins aisée (le père aurait été chiffonnier à Varsovie8), qui comptait huit (ou sept ?9) enfants : cinq (...ou quatre ?) garçons et trois filles. Un des frères mourut, dit-on, à l’âge de 102 ans, l’autre à l’âge de 101 ans, en 1902. Celui qui était prénommé Hermann resta aussi toute sa vie en Pologne en qualité d’agent dans une compagnie de vente de bois et de terrains10. Il épousa Régine Ritterband, de qui il eut un fils, prénommé Wilhelm. Ce dernier, marchand de laine, s’installa pour sa part en 1860 à Strasbourg et fut le père de deux filles.

Julien quitta sa famille en 1840, à l’âge de 18 ans. Et si l’on en croit une vieille dame de Genève, qui confia ses souvenirs aux journaux en 190511, Julien, à l’occasion de son départ, se fit couper les cheveux qu’il portait longs à la mode de ses coreligionnaires. De plus, il était malgré son âge peu avancé réputé bon talmudiste. Le jeune homme devait aussi avoir belle figure, si l’on en croit le Gil Blas, qui précise que Julien était « admirablement beau et séduisant »12.

Après être passé par Varsovie, Vienne, Trieste, Julien s’arrêta quelques temps à Rome où il rencontra le père Piotr Semenenko13 (voir illustration), le cofondateur de la congrégation des résurrectionnistes, qui le prit sous sa protection et se chargea de lui trouver une situation. D’après Le Temps14, Julien avait d’ailleurs des idées bien arrêtées sur son avenir :

[Julien] dut avouer à son protecteur, le P. Semenko [sic], que ses bonnes intentions se trouvaient stérilisées par le manque d’une position pour lui assurer une influence réelle. En vérité, disait-il, le gouvernement français lui offrait un très bel emploi au ministère de l’intérieur, mais en l’acceptant il aurait à devenir un rouage dans une machine dont le fonctionnement, souvent, ne concorderait pas avec ce que lui ordonnerait sa conscience. Aussi hésitait-il à accepter cet emploi, et l’idée lui était venue qu’il vaudrait mieux pour lui faire un riche mariage. Il priait le P. Semenko de vouloir bien l’y aider. Déjà il avait fait choix d’un parti.

Selon Marguerite Allotte de la Fuÿe, ce parti n’était autre que « la princesse polonaise Kryzanowska »15. Elle ajoute que les fiançailles furent rompues et qu’il accepta finalement le poste de fonctionnaire qu’on lui proposait en France16. Quoiqu’il en soit, nous verrons plus loin que son passage chez les Résurrectionnistes est certain.

C’est donc en 1848 que Julien entra comme traducteur au Ministère des affaires étrangères, à Paris17. Comme, à l’évidence, il souhaitait ardemment se fixer, il entreprit diverses démarches administratives, certainement facilitées par sa position au Ministère. C’est ainsi que le 17 septembre 1849, un décret de justice18 accorda « la naturalisation au sieur Olszewiec (Julien), né en Pologne, résidant à Paris ». Parallèlement à son travail au Ministère, il effectua également en 1851, sous ce nom19, des traductions d’articles français pour des revues allemandes. Quelques journaux20, en s’appuyant sur un article de La Nouvelle Réforme de Varsovie, prétendirent également que Julien fut aussi un certain temps agent de change, sans en préciser toutefois l’époque précise ou la durée. Mais peut-on réellement accorder foi à cette information qui coïncide un peu trop avec la fonction d’agent de change que Verne occupa lui-même quelque temps ?

Après sa naturalisation, Julien songea également à franciser son nom. Comme Olszewiec est dérivé du mot polonais « olscha » qui signifie aulne, ou vergne, ou verne en vieux français, il opta pour le patronyme de « de Verne ». Il se pourvut en conséquence le 25 octobre 1852 « devant M. le garde des sceaux pour obtenir l’autorisation de changer son nom d’Olszewiec contre celui de « de Verne », qui en est la traduction littérale »21.

En 1854, un expatrié venu d’Espagne décida de créer à Paris un journal multilingue, destiné à publier des annonces et des articles relatifs à l’Exposition Universelle. Comme sa qualité d’étranger l’empêchait d’obtenir le visa ministériel autorisant cette publication, il fit faire la déclaration par Julien, qui devint ainsi le gérant responsable du journal, avec les noms et qualité de Julien Olszewiec de Verne, homme de lettres. Le 9 décembre 1854, l’acte juridique fut publié comme suit :...

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O. Piotr Semenenko

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