bulletin de la Société Jules Verne


186 Août 2014

[ TABLE DES MATIÈRES

Page 1 LA RÉDACTION :
Éditorial
Page 2
Actualités
Page 3
Dossier Michel Verne (I)
Page 4 Jean-Louis MONGIN :
Michel Verne à Mettray
Page 29 Michel VERNE et Jules VERNE :
Deux lettres de 1878
Page 32 Philippe VALETOUX :
Michel Verne : la marine pour thérapie
Page 55 Jules VERNE :
Note sur les poésies de Michel (1885)
Page 57 Michel VERNE :
Lettre à Achille (Heymann ?)
Page 58 Volker DEHS et Philippe VALETOUX :
La Navigation à voiles et à vapeur de Michel Verne
Page 63 Piero GONDOLO della RIVA :
À propos de L’Agence Thompson and C°
Page 64 Francis POULBOT :
Affiche pour l’édition préoriginale de L’Agence Thompson et C°
Page 69 Jean DEMERLIAC :
... et le cinématographe vint à Michel Verne (1e partie)
Page 85
Errata du n° 185
Page 86
Table des illustrations
Page 88
Le directoire de la colonie de Mettray, vers 1877

[ Éditorial

Les rapports entre Jules Verne et son unique fils Michel Jean Pierre (1861-1925), qui se fit appeler plus tard Michel-Jules Verne, voire Michel Jules-Verne, n’ont jamais été faciles et sont restés longtemps dans l’ombre. Plusieurs numéros spéciaux du BSJV se sont néanmoins consacrés à ce sujet épineux, en reproduisant notamment les articles de Michel (revus par son père) et sa correspondance avec les éditeurs Hetzel1. En attendant la publication des 300 lettres de l’importante correspondance adressée par le père au fils – conservée à la Bibliothèque municipale d’Amiens – voici un autre numéro spécial qui présente des aspects biographiques, consciencieusement recherchés par Jean-Louis Mongin et Philippe Valetoux, bibliographiques ainsi que quelques documents inédits de la famille Verne.

Tous ces articles et documents contribueront à proposer un portrait plus riche, et – nous l’espérons – plus juste de cet homme qui fut souvent réduit à un manipulateur des écrits posthumes de son père. Aujourd’hui, alors que les manuscrits de l’un et les adaptations de l’autre sont accessibles à tous, il est possible de dépasser le stade purement moralisateur de l’indignation et d’adopter une perspective plus sereine bénéficiant de cette situation quasiment unique dans le monde des lettres : l’existence de deux versions entièrement différentes de plusieurs œuvres littéraires, écrites par deux auteurs non moins différents l’un de l’autre, offre un champ d’exploration qui reste loin d’être épuisé par les chercheurs. Piero Gondolo della Riva commence en abordant L’Agence Thompson and Co, entièrement écrit par Michel Verne, mais où le rôle de son père est plus considérable que supposé jusqu’à présent, aux points de vue de la conception, de la documentation et de la correction.

L’article de Jean Demerliac sur les activités cinématographiques de Michel constitue un fascinant chapitre méconnu de l’histoire du cinéma français et trouvera sa suite dans le dernier numéro de cette année, qui, avec quelques textes complémentaires, clôturera (de manière provisoire) notre dossier sur le fils de l’écrivain et leurs rapports réciproques.
La rédaction.

1 Voir les numéros 103 et 104 (1992), 106 (1993), 110 (1994) et 115 (1995), mais aussi le n° 118 (1996, pp. 20-40).

[ ...Et le cinématographe vint à Jules Verne1


Par Jean Demerliac

"L’occasion n’a qu’un cheveu, dit le proverbe ; les malins le saisissent, tant pis pour ceux qui s’attardent à le peigner."
                                 Michel Verne

Pauvre Michel Verne ! Il ne figure dans aucun dictionnaire du cinéma, pas même dans celui des Oubliés du cinéma français. En fait, personne n’a oublié le réalisateur de films, puisque personne ne sait qu’il a existé2. Michel Verne est principalement connu pour le rôle insolite de nègre posthume qu’il a joué en réécrivant – non sans talent – des pans entiers de l’œuvre paternelle encore non publiée, supercherie ébruitée en 1909 par Le Journal qui publiait en feuilleton Les Naufragés du Jonathan. Ce crime ne lui a jamais été pardonné et a confirmé l’image du « perverti épouvantable » que son père, visiblement hors de ses gonds, a décrite à maintes reprises dans sa correspondance avec Pierre-Jules Hetzel. La mise à jour des « tripatouillages » en tous genres commis par la « main du fils » (Olivier Dumas) dans l’œuvre encore non publiée de Jules Verne, entreprise dans les pages même de ce Bulletin était indispensable, mais elle a aussi, par son angle exclusif, réduit le fils de l’écrivain à une figure de coupable.

Conséquence de ce discrédit pour faux en écritures, le cinéaste Michel Verne est resté longtemps au coin avec son bonnet d’âne, avant que Brian Taves ne commence à exhumer ses films et ainsi à le réhabiliter2. Depuis ce travail pionnier, l’examen de deux archives cinématographiques, l’archive du « Film Jules Verne » conservée par la famille et léguée en 2005 à la Bibliothèque de Nantes par Jean Verne (l’arrière-petit-fils de Jules Verne), et le fonds « Serge Sandberg » (Éclair Films) acquis en 1997 par la Bibliothèque nationale de France, a apporté des éléments nouveaux sur Michel Verne et sur les adaptations cinématographiques des romans de son père qu’il a soit réalisées (Les Indes noires, L’Étoile du Sud, Les Cinq Cents Millions de la Bégum, La Destinée de Jean Morenas), soit « supervisées » pour la compagnie Éclair Films (Les Enfants du capitaine Grant, Mathias Sandorf)4. Ces documents sont une mine d’informations sur la carrière de cinéaste de Michel Verne et sur la place et la valeur de l’actif que représentaient les Voyages extraordinaires dans le cinéma français des années 1910-1920. Ne serait-ce que pour les films à petit budget qu’il a réalisés ou parce qu’il a été associé à des affaires importantes de la période de l’après-guerre (comme Mathias Sandorf de Henri Fescourt et la création des Studios de la Victorine), Michel Verne mérite certainement mieux que l’image d’épouvantail qui colle désormais à son personnage, image finalement commode puisqu’elle nous dispense de suivre les méandres d’une personnalité complexe, tout comme de regarder de trop près une histoire familiale dans laquelle les fautes du fils apparaissent de manière moins univoque. Cas unique, quoiqu’il en soit, que celui de Michel Verne, lequel peut se targuer, comme l’a remarqué Brian Taves, de la rare prouesse d’avoir non seulement écrit des histoires publiées sous le nom d’une autre personne – son père – (« In the Year 2889 », 1889, L’Agence Thompson and C°, 1907 ; « La Destinée de Jean Morénas », 1910 ; L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, 1914), mais encore d’avoir réalisé des adaptations cinématographiques de ces histoires réécrites (La Destinée de Jean Morénas, 1919 »).

Une grande confusion a présidé à la destinée de Michel que le cinéma semble n’avoir guère contribué à dissiper. On ne voit pas immédiatement que le cinéma a mis le fils de l’écrivain sur la voie d’un certain progrès et d’une tentative d’émancipation de l’encombrant bagage paternel. En attribuant le virage cinématographique de Michel à la quête de nouveaux moyens d’enrichissement5, Olivier Dumas ferme cette possibilité mais il énonce aussi une vérité toute relative, tant il paraît difficile d’attribuer à Michel, dont son père disait justement qu’il « ne connai[ssait] en aucune façon la valeur de l’argent », des motifs simplement cupides. On se trouve renvoyé ici à une question plus générale qui est celle des relations de Jules et de Michel où, faute d’autre chose, les questions d’argent devaient prendre une part essentielle – pour ne pas dire exclusive –, tout en menant le fils de l’écrivain à afficher, moins par conviction personnelle que par provocation, une posture agressive de « capitaliste » et d’affairiste que l’on ne saurait prendre à la lettre. Cette question est évidemment trop riche et importante pour qu’on prétende l’aborder latéralement dans une étude sur le cinéma de Michel Verne6. Du reste, s’il est vrai que les questions d’argent ont pu parfois tourner à l’obsession chez Michel, ses affaires cinématographiques n’en sont certainement pas la meilleure illustration. Celles-ci ont suivi un cours tellement imprévisible qu’il paraît difficile de leur assigner des finalités précises, financières ou autres, avant la date où Michel s’est investi à plein dans le cinématographe et s’est mis à produire et à réaliser lui-même ses films. Avec le recul, ce lancement dans une carrière cinématographique apparaît surtout comme la conséquence de la guerre et des difficultés économiques d’Éclair Film : privé des moyens de production et de distribution de cette dernière, Michel aurait tenté sa chance seul au sein de sa petite société du Film Jules Verne avec son maigre capital, augmenté par les apports d’un « commanditaire » (en fait, un bailleur de fonds) du nom de Jules Schreter, ex-commissionnaire en douane et promoteur, qui détenait plusieurs hôtels sur la Côte d’Azur. C’est ainsi que Michel écrit, le 10 août 1917, à Louis-Jules Hetzel : « étant donné la situation actuelle, étant donné qu’il n’y a plus une seule maison française pour éditer des films à son compte, je crains fort d’être obligé de voler de mes propres ailes »7. Très tardivement, on assiste à ce qui a été peut-être le seul et véritable envol de Michel, lequel devait atterrir douloureusement trois ans plus tard, après l’échec commercial de ses films. Il n’y a pas lieu d’interpréter ce passage à la réalisation comme l’heureux dénouement du sombre épisode affairiste et éditorial qui l’a précédé. La réalisation n’a pas apporté à Michel le salut (et encore moins la fortune8), mais elle lui a donné une détermination, ainsi qu’un métier et une raison sociale avouables et acceptables, et a marqué donc un accomplissement des plus notables pour qui connaît sa biographie et ses problèmes de fils de Grand Homme.

La période de Michel réalisateur a déjà été en partie défrichée, mais celle qui lui précède, correspondant à l’avant-guerre et aux premiers contacts de Michel avec le cinématographe, est en revanche très mal connue. Les questions posées par l’édition des Voyages extraordinaires posthumes ont éclipsé les premières affaires cinématographiques auxquelles nous nous intéresserons ici. On n’a guère à l’esprit que la publication en feuilleton au cours de l’année 1914 du dernier Voyage extraordinaire, L’Étonnante Aventure de la Mission Barsac, est contemporaine de la sortie du film Les Enfants du capitaine Grant, laquelle a été précédée de la signature du premier contrat avec Éclair Film au mois de mai 1912 portant sur une ambitieuse série d’adaptations des Voyages extraordinaires (les « FILMS JULES VERNE »), d’un procès retentissant contre la compagnie Edison entre 1910 et 1912, de premiers essais de scénarisation de Michel Verne au Film d’Art en 1908 et même d’écrits antérieurs à l’invention des frères Lumière qui préfigurent la « cinéphilie » du fils de l’écrivain. Ainsi, en même temps que les déterminismes familiaux jouent à plein dans les affaires d’héritage et culminent dans l’adoption par Michel d’une posture impossible d’écrivain, faisant œuvre anonymement dans les écrits de son père, le cinéma a amorcé une dynamique nouvelle que Michel a saisi en marche, sans aucune idée préconçue sur sa « vocation » de cinéaste. Cette rencontre avec le cinématographe semble bien même le fruit d’une double indéter- mination, celle de Michel, velléitaire qui se cherche, celle du cinéma français qui, après une période que l’on pourrait qualifier d’« expérimentale » (naturalisme des frères Lumière, films d’attraction, fééries filmées de Méliès), s’oriente à partir de 1907-1908 vers un cinéma plus institutionnel et « littéraire ». Imprévisible et chaotique, cette rencontre n’en reste pas moins un événement déterminant dans la vie de Michel et d’une certaine importance dans les annales du cinéma littéraire. On ne sait pas que Michel a été en relation avec des personnalités et des affaires de tout premier plan dans le monde ciné- matographique de l’avant-guerre. On ne sait rien non plus de sa formation et du cheminement qui lui a permis de passer à la réalisation en 1916 (Les Indes noires). Bien qu’on ne dispose que de très peu de lettres et de documents qui émanent directement du fils de l’écrivain au cours de cette première période, on peut à partir des revues cinématographiques et de la documentation juridique de l’époque, mais aussi de travaux plus récents comme ceux d’Alain Carou qui a étudié l’émergence du cinéma littéraire en France dans les années 1906-19149, reconstituer tout un contexte qui jette une lumière nouvelle sur les débuts de Michel au cinématographe et sur les conditions d’émergence d’un premier cinéma vernien en France...

Pour poursuivre la lecture, commander

Michel Verne vers 1910. Photographie par Paul Nadar au format cabinet. (Coll: J. Verne) 


bulletin de la société jules verne

185 Avril 2014

[ Le Roman L’Étoile du Sud Au théâtre

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187 Décembre 2014

[ Quand une nouvelle de Ray Bradbury n'est pas sans nous rappeler Jules Verne...

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186 Août 2014

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Page 2
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Dossier Michel Verne (I)
Page 4 Jean-Louis MONGIN :
Michel Verne à Mettray
Page 29 Michel VERNE et Jules VERNE :
Deux lettres de 1878
Page 32 Philippe VALETOUX :
Michel Verne : la marine pour thérapie
Page 55 Jules VERNE :
Note sur les poésies de Michel (1885)
Page 57 Michel VERNE :
Lettre à Achille (Heymann ?)
Page 58 Volker DEHS et Philippe VALETOUX :
La Navigation à voiles et à vapeur de Michel Verne
Page 63 Piero GONDOLO della RIVA :
À propos de L’Agence Thompson and C°
Page 64 Francis POULBOT :
Affiche pour l’édition préoriginale de L’Agence Thompson et C°
Page 69 Jean DEMERLIAC :
... et le cinématographe vint à Michel Verne (1e partie)
Page 85
Errata du n° 185
Page 86
Table des illustrations
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Le directoire de la colonie de Mettray, vers 1877

[ Éditorial

Les rapports entre Jules Verne et son unique fils Michel Jean Pierre (1861-1925), qui se fit appeler plus tard Michel-Jules Verne, voire Michel Jules-Verne, n’ont jamais été faciles et sont restés longtemps dans l’ombre. Plusieurs numéros spéciaux du BSJV se sont néanmoins consacrés à ce sujet épineux, en reproduisant notamment les articles de Michel (revus par son père) et sa correspondance avec les éditeurs Hetzel1. En attendant la publication des 300 lettres de l’importante correspondance adressée par le père au fils – conservée à la Bibliothèque municipale d’Amiens – voici un autre numéro spécial qui présente des aspects biographiques, consciencieusement recherchés par Jean-Louis Mongin et Philippe Valetoux, bibliographiques ainsi que quelques documents inédits de la famille Verne.

Tous ces articles et documents contribueront à proposer un portrait plus riche, et – nous l’espérons – plus juste de cet homme qui fut souvent réduit à un manipulateur des écrits posthumes de son père. Aujourd’hui, alors que les manuscrits de l’un et les adaptations de l’autre sont accessibles à tous, il est possible de dépasser le stade purement moralisateur de l’indignation et d’adopter une perspective plus sereine bénéficiant de cette situation quasiment unique dans le monde des lettres : l’existence de deux versions entièrement différentes de plusieurs œuvres littéraires, écrites par deux auteurs non moins différents l’un de l’autre, offre un champ d’exploration qui reste loin d’être épuisé par les chercheurs. Piero Gondolo della Riva commence en abordant L’Agence Thompson and Co, entièrement écrit par Michel Verne, mais où le rôle de son père est plus considérable que supposé jusqu’à présent, aux points de vue de la conception, de la documentation et de la correction.

L’article de Jean Demerliac sur les activités cinématographiques de Michel constitue un fascinant chapitre méconnu de l’histoire du cinéma français et trouvera sa suite dans le dernier numéro de cette année, qui, avec quelques textes complémentaires, clôturera (de manière provisoire) notre dossier sur le fils de l’écrivain et leurs rapports réciproques.
La rédaction.

1 Voir les numéros 103 et 104 (1992), 106 (1993), 110 (1994) et 115 (1995), mais aussi le n° 118 (1996, pp. 20-40).

[ ...Et le cinématographe vint à Jules Verne1


Par Jean Demerliac

"L’occasion n’a qu’un cheveu, dit le proverbe ; les malins le saisissent, tant pis pour ceux qui s’attardent à le peigner."
                                 Michel Verne

Pauvre Michel Verne ! Il ne figure dans aucun dictionnaire du cinéma, pas même dans celui des Oubliés du cinéma français. En fait, personne n’a oublié le réalisateur de films, puisque personne ne sait qu’il a existé2. Michel Verne est principalement connu pour le rôle insolite de nègre posthume qu’il a joué en réécrivant – non sans talent – des pans entiers de l’œuvre paternelle encore non publiée, supercherie ébruitée en 1909 par Le Journal qui publiait en feuilleton Les Naufragés du Jonathan. Ce crime ne lui a jamais été pardonné et a confirmé l’image du « perverti épouvantable » que son père, visiblement hors de ses gonds, a décrite à maintes reprises dans sa correspondance avec Pierre-Jules Hetzel. La mise à jour des « tripatouillages » en tous genres commis par la « main du fils » (Olivier Dumas) dans l’œuvre encore non publiée de Jules Verne, entreprise dans les pages même de ce Bulletin était indispensable, mais elle a aussi, par son angle exclusif, réduit le fils de l’écrivain à une figure de coupable.

Conséquence de ce discrédit pour faux en écritures, le cinéaste Michel Verne est resté longtemps au coin avec son bonnet d’âne, avant que Brian Taves ne commence à exhumer ses films et ainsi à le réhabiliter2. Depuis ce travail pionnier, l’examen de deux archives cinématographiques, l’archive du « Film Jules Verne » conservée par la famille et léguée en 2005 à la Bibliothèque de Nantes par Jean Verne (l’arrière-petit-fils de Jules Verne), et le fonds « Serge Sandberg » (Éclair Films) acquis en 1997 par la Bibliothèque nationale de France, a apporté des éléments nouveaux sur Michel Verne et sur les adaptations cinématographiques des romans de son père qu’il a soit réalisées (Les Indes noires, L’Étoile du Sud, Les Cinq Cents Millions de la Bégum, La Destinée de Jean Morenas), soit « supervisées » pour la compagnie Éclair Films (Les Enfants du capitaine Grant, Mathias Sandorf)4. Ces documents sont une mine d’informations sur la carrière de cinéaste de Michel Verne et sur la place et la valeur de l’actif que représentaient les Voyages extraordinaires dans le cinéma français des années 1910-1920. Ne serait-ce que pour les films à petit budget qu’il a réalisés ou parce qu’il a été associé à des affaires importantes de la période de l’après-guerre (comme Mathias Sandorf de Henri Fescourt et la création des Studios de la Victorine), Michel Verne mérite certainement mieux que l’image d’épouvantail qui colle désormais à son personnage, image finalement commode puisqu’elle nous dispense de suivre les méandres d’une personnalité complexe, tout comme de regarder de trop près une histoire familiale dans laquelle les fautes du fils apparaissent de manière moins univoque. Cas unique, quoiqu’il en soit, que celui de Michel Verne, lequel peut se targuer, comme l’a remarqué Brian Taves, de la rare prouesse d’avoir non seulement écrit des histoires publiées sous le nom d’une autre personne – son père – (« In the Year 2889 », 1889, L’Agence Thompson and C°, 1907 ; « La Destinée de Jean Morénas », 1910 ; L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, 1914), mais encore d’avoir réalisé des adaptations cinématographiques de ces histoires réécrites (La Destinée de Jean Morénas, 1919 »).

Une grande confusion a présidé à la destinée de Michel que le cinéma semble n’avoir guère contribué à dissiper. On ne voit pas immédiatement que le cinéma a mis le fils de l’écrivain sur la voie d’un certain progrès et d’une tentative d’émancipation de l’encombrant bagage paternel. En attribuant le virage cinématographique de Michel à la quête de nouveaux moyens d’enrichissement5, Olivier Dumas ferme cette possibilité mais il énonce aussi une vérité toute relative, tant il paraît difficile d’attribuer à Michel, dont son père disait justement qu’il « ne connai[ssait] en aucune façon la valeur de l’argent », des motifs simplement cupides. On se trouve renvoyé ici à une question plus générale qui est celle des relations de Jules et de Michel où, faute d’autre chose, les questions d’argent devaient prendre une part essentielle – pour ne pas dire exclusive –, tout en menant le fils de l’écrivain à afficher, moins par conviction personnelle que par provocation, une posture agressive de « capitaliste » et d’affairiste que l’on ne saurait prendre à la lettre. Cette question est évidemment trop riche et importante pour qu’on prétende l’aborder latéralement dans une étude sur le cinéma de Michel Verne6. Du reste, s’il est vrai que les questions d’argent ont pu parfois tourner à l’obsession chez Michel, ses affaires cinématographiques n’en sont certainement pas la meilleure illustration. Celles-ci ont suivi un cours tellement imprévisible qu’il paraît difficile de leur assigner des finalités précises, financières ou autres, avant la date où Michel s’est investi à plein dans le cinématographe et s’est mis à produire et à réaliser lui-même ses films. Avec le recul, ce lancement dans une carrière cinématographique apparaît surtout comme la conséquence de la guerre et des difficultés économiques d’Éclair Film : privé des moyens de production et de distribution de cette dernière, Michel aurait tenté sa chance seul au sein de sa petite société du Film Jules Verne avec son maigre capital, augmenté par les apports d’un « commanditaire » (en fait, un bailleur de fonds) du nom de Jules Schreter, ex-commissionnaire en douane et promoteur, qui détenait plusieurs hôtels sur la Côte d’Azur. C’est ainsi que Michel écrit, le 10 août 1917, à Louis-Jules Hetzel : « étant donné la situation actuelle, étant donné qu’il n’y a plus une seule maison française pour éditer des films à son compte, je crains fort d’être obligé de voler de mes propres ailes »7. Très tardivement, on assiste à ce qui a été peut-être le seul et véritable envol de Michel, lequel devait atterrir douloureusement trois ans plus tard, après l’échec commercial de ses films. Il n’y a pas lieu d’interpréter ce passage à la réalisation comme l’heureux dénouement du sombre épisode affairiste et éditorial qui l’a précédé. La réalisation n’a pas apporté à Michel le salut (et encore moins la fortune8), mais elle lui a donné une détermination, ainsi qu’un métier et une raison sociale avouables et acceptables, et a marqué donc un accomplissement des plus notables pour qui connaît sa biographie et ses problèmes de fils de Grand Homme.

La période de Michel réalisateur a déjà été en partie défrichée, mais celle qui lui précède, correspondant à l’avant-guerre et aux premiers contacts de Michel avec le cinématographe, est en revanche très mal connue. Les questions posées par l’édition des Voyages extraordinaires posthumes ont éclipsé les premières affaires cinématographiques auxquelles nous nous intéresserons ici. On n’a guère à l’esprit que la publication en feuilleton au cours de l’année 1914 du dernier Voyage extraordinaire, L’Étonnante Aventure de la Mission Barsac, est contemporaine de la sortie du film Les Enfants du capitaine Grant, laquelle a été précédée de la signature du premier contrat avec Éclair Film au mois de mai 1912 portant sur une ambitieuse série d’adaptations des Voyages extraordinaires (les « FILMS JULES VERNE »), d’un procès retentissant contre la compagnie Edison entre 1910 et 1912, de premiers essais de scénarisation de Michel Verne au Film d’Art en 1908 et même d’écrits antérieurs à l’invention des frères Lumière qui préfigurent la « cinéphilie » du fils de l’écrivain. Ainsi, en même temps que les déterminismes familiaux jouent à plein dans les affaires d’héritage et culminent dans l’adoption par Michel d’une posture impossible d’écrivain, faisant œuvre anonymement dans les écrits de son père, le cinéma a amorcé une dynamique nouvelle que Michel a saisi en marche, sans aucune idée préconçue sur sa « vocation » de cinéaste. Cette rencontre avec le cinématographe semble bien même le fruit d’une double indéter- mination, celle de Michel, velléitaire qui se cherche, celle du cinéma français qui, après une période que l’on pourrait qualifier d’« expérimentale » (naturalisme des frères Lumière, films d’attraction, fééries filmées de Méliès), s’oriente à partir de 1907-1908 vers un cinéma plus institutionnel et « littéraire ». Imprévisible et chaotique, cette rencontre n’en reste pas moins un événement déterminant dans la vie de Michel et d’une certaine importance dans les annales du cinéma littéraire. On ne sait pas que Michel a été en relation avec des personnalités et des affaires de tout premier plan dans le monde ciné- matographique de l’avant-guerre. On ne sait rien non plus de sa formation et du cheminement qui lui a permis de passer à la réalisation en 1916 (Les Indes noires). Bien qu’on ne dispose que de très peu de lettres et de documents qui émanent directement du fils de l’écrivain au cours de cette première période, on peut à partir des revues cinématographiques et de la documentation juridique de l’époque, mais aussi de travaux plus récents comme ceux d’Alain Carou qui a étudié l’émergence du cinéma littéraire en France dans les années 1906-19149, reconstituer tout un contexte qui jette une lumière nouvelle sur les débuts de Michel au cinématographe et sur les conditions d’émergence d’un premier cinéma vernien en France...

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Michel Verne vers 1910. Photographie par Paul Nadar au format cabinet. (Coll: J. Verne) 


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185 Avril 2014

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